Meeting de solidarité 19/03/2013 – Le texte de l’intervention de Seve Aydin-Izouli
A l’occasion de la 2ème anniversaire de la révolution syrienne
Meeting de solidarité 19/03/2013
Le système Assad : Farouk Mardam Bey,
Les massacres du régime Assad 1982/2013 : Jean Pierre Perrin
Droits de l’homme en Syrie: Seve Aydin – Izouli
Les hôpitaux de points, défis et besoins : Garance Le Caisne
La communauté internationale face à la révolution syrienne: Wladimir Glasman
Animation par Thomas Le Grand (Journaliste à France Inter)
Droits de l’homme en Syrie
Le texte de l’intervention de Seve Aydin – 19/03/2013
Deux ans sont écoulés depuis le déclenchement de la révolution syrienne et malgré les violations très graves des droits fondamentaux de l’homme et des règles essentielles du droit humanitaire, la communauté internationale n’a entrepris aucune action adéquate pour faire cesser ces violations qualifiées de crimes contre l’humanité, notamment par la Commission des Droits de l’Hommes de l’ONU.
Le peuple syrien reste dans l’incompréhension totale face à l’inertie de la communauté internationale et son impossibilité à mettre un terme aux massacres perpétrés par le régime sanguinaire de Bachar AL ASSAD et à traduire les criminels de guerre devant la Cour Pénal Internationale (CPI).
La Communauté Internationale se retranche derrière les règles du droit international pour justifier de la non-adoption de mesures coercitives et de la non- saisine de la CPI.
A – En ce qui concerne les mesures coercitives : si effectivement la Charte de l’ONU interdit par son article 2 §7 l’ingérence dans les affaires intérieures d’un Etat, ce principe a été fortement relativisé depuis les années 90 avec l’émergence du droit, voire du devoir d’ingérence humanitaire dans les situations d’urgence où des milliers de vies humaines sont menacées.
La mise en œuvre de ce droit d’ingérence a permis de sauver des milliers de Kurdes d’Irak victimes de la répression du Dictateur Saddam Hussein, de somaliens, de rwandais, de ressortissants de l’Ex- Yougoslavie …etc
Certes, pour le cas syrien, l’adoption des mesures coercitives sur le fondement du chapitre V11 de la Charte de l’ONU est bloqué par le double Veto de la Chine et de la Russie à toute résolution contre le dictateur syrien. Toutefois, il est «inadmissible et intolérable» que la protection des droits fondamentaux de l’homme, reconnus comme étant des normes « Jus cogens » ayant une valeur universelle, puisse dépendre du « bon vouloir » de certaines grandes puissances détenant le droit de Veto.
L’affaire syrienne réactualise le débat sur la nécessité d’une « démocratisation » du Conseil de Sécurité de l’ONU, afin de lui conférer une plus grande légitimité basée sur une meilleure représentativité, correspondant à l’état actuel de la Société internationale.
Mais, le blocage sino- russe au sein du Conseil de Sécurité ne saurait à lui seul expliquer et justifier l’inaction de la Communauté internationale.
Dans d’autres situations presque similaires, la Communauté Internationale a su réagir: des interventions militaires ont été menées sans mandat explicite du Conseil de Sécurité de l’ONU et alors que la Russie menaçait d’utiliser son Veto. On songe à l’intervention de l’OTAN au Kosovo pour mettre fin aux massacres perpétrés par les Serbes contre les musulmans de Kosovo.
En effet, suite au non respect par les serbes de la résolution 1199 du 23/9/1998 du Conseil de Sécurité de l’ONU , le Conseil de l’OTAN a autorisé le 30/1/1999 une intervention militaire contre la Serbie de Slobodan MILOSEVIC afin de le contraindre à se retirer du Kosovo. La campagne aérienne a duré 6 semaines. Les forces alliées ont survolé à 76 reprises le territoire serbe ciblant de surcroît des objectifs militaires, des infrastructures, tels des ponts sur le Danube et des usines d’armements .
Le 6 juin 1999, Slobodan MILOSIVIC a cèdé sans aucune condition. Deux jours plus tard la KFOR, forte de 42000 hommes, a été déployée au Kosovo .
Le bilan humain de la guerre dans les Balkans, qui a duré environ 11 ans, était de près de 79.000 personnes tuées sur une population d’environ 52 millions et, de près de 800.000 déplacées. C’est colossal…
Le bilan humain de la guerre en Syrie, qui dure depuis deux ans, a atteint plus de 80.000 personnes tuées sur une
population d’environ 22 millions et plus de 1 million de réfugiés dans les Etats voisins, ainsi que 3 à 4 million
de personnes déplacées à l’intérieur du pays, sans compter les personnes blessées, les personnes disparues et
les prisonniers
Comment, dans ces circonstances, le peuple syrien pourrait-il comprendre l’inaction de la communauté
internationale ?
Les règles de droit méritent d’être observées pour autant qu’elles soient justes et équitables… Elles doivent être appliquées de manière uniforme et non discriminatoire et non suivant une politique du deux poids deux mesures !
B- La saisine de la Cour Pénal Internationale :
Il est difficile pour les victimes des crimes de guerre et crimes contre l’humanité de comprendre que leurs auteurs puissent échapper à la justice et bénéficier de l’impunité.
La situation de la Syrie démontre à quel point le Droit International reste un droit étatique, fait par et pour les Etats, et où l’individu n’a pas toute sa place.
La CPI, créée par le Traité de Rome du 17/7/1998, entré en vigueur le 1/7/2002, après la ratification par 60 Etats de ses statuts conformément à l’article 126, la Syrie ne faisant « bien évidement » pas partie des Etats- membres.
L’article 13 des statuts prévoit trois possibilités de saisine de la Cour :
* Par un Etat- membre : L’Ouganda, la RDC et la République de Centrafricaine ont saisi de leur propre chef le Procureur de la CPI sur le fondement de l’article 14 (crimes commis sur leurs territoires) ;
* Par le Conseil de Sécurité : Le Soudan à la suite de la résolution 1593 du 31/3/2005 ;
* L’article 15 des statuts prévoit que le Procureur peut s’auto- saisir et décider de l’ouverture d’une enquête lorsqu’il dispose d’assez d’élément sur la commission de crimes relevant de la compétence de la Cour. Cette possibilité n’a, jusqu’à présent, jamais été mise en œuvre. Il semble que le Procureur, tout comme le Conseil de Sécurité , peut saisir la Cour, même si l’Etat n’est pas partie au Traité.
Dans le cas de la Syrie, si les deux premiers modes de saisine ne peuvaient être envisagés en raison de la non-ratification par l’Etat syrien du Traité de Rome et du blocage au sein du Conseil de Sécurité, on s’interroge sur ce qui empêche le Procureur de la CPI de diligenter une enquête sur le fondement de l’article 15 des statuts ?
L’atrocité des crimes commis en Syrie ne mérite- elle pas la création d’un précédent, d’une nouvelle jurisprudence ?
Les règles du droit ne sont pas statiques … elles sont créées pour gérer des situations et répondre à des nécessités de la société internationale. A chaque situation nouvelle, il faut avoir l’audace de créer une règle nouvelle.
Combien de milliers de morts supplémentaires faut-il encore compter avant que les grandes puissances et le Procureur de la CPI ne tentent de mettre en œuvre les moyens d’action à leur disposition ?
Conclusions :
Avec la commémoration de la seconde année de la révolution syrienne, les syriens abandonnés à leur sort doivent se tourner malgré tout et résolument vers l’avenir. Ils doivent retenir les enseignements de la situation actuelle. Il est crucial d’initier une réflexion dès à présent et en amont de la chute du régime sur la reconstruction du pays, voire l’élaboration d’un projet concret de reconstruction. Demain et même aujourd’hui c’est déjà trop tard….
Un très vaste chantier de réformes dans le domaine juridique nous attendent, telle la justice transitoire : faut -il juger les criminels de la révolution syrienne et de la guerre en Syrie par des tribunaux nationaux ou internationaux comme ceux pour l’ Ex- Yougoslavie et le Rwanda…ou par la CPI? Ce qui nécessite de ratifier, immédiatement après la chute du régime, les statuts de la CPI.
Il faut également penser à l’ élaboration d’une future constitution pour la Syrie consacrant les Conventions et Pactes internationaux des droits de l’homme comme source directe de législation et comme un droit intangible auquel on ne saurait dérogé. Le futur Etat syrien doit également accepter le droit au recours individuel devant les instances internationales afin d’assurer aux droits fondamentaux de l’homme un mécanisme de contrôle ou de garantie effectif. Il faut d’ores et déjà penser à l’incarnation de la séparation des pouvoirs, à l’indépendance de la justice, au conseil supérieur de la magistrature , à l’indépendance des juges…à la formation de la police… et même des avocats …. etc
En bref, les syriens doivent penser à reconstruire , voire à bâtir tout simplement un Etat de droit, seul à même de prémunir les générations futures des atrocités qui ont cours actuellement en Syrie.