Monde Damas et Moscou : la croix et la bannière des chrétiens syriens – Par HALA KODMANI

Article  •  Publié sur Souria Houria le 22 mai 2013

Sur fond de montée en puissance des jihadistes, le régime et son allié russe cherchent à instrumentaliser les Eglises en s’érigeant en protecteurs.

Des émissaires en soutane se révèlent plus précieux et efficaces pour le régime syrien que les plus talentueux des diplomates. Patriarches, évêques, sœurs et pères des différentes Eglises d’Orient multiplient les visites dans les capitales occidentales pour dire la peur des chrétiens pris dans la tourmente syrienne. Ils sont bien accueillis et écoutés, au moment où la radicalisation de la rébellion armée dans le pays a sensiblement entamé la sympathie de l’opinion pour les opposants à Bachar al-Assad.

Péril. Reçus dans les ministères, les chancelleries, les Parlements comme dans les églises et les paroisses, ils tiennent des prières et des conférences organisées par les différents relais d’une opinion européenne mobilisée pour la cause des chrétiens d’Orient menacés par le péril islamiste. Si certains, comme le père Elias Tabé, archevêque syriaque catholique de Damas en visite à Paris, en avril, vont jusqu’à affirmer que «le discours de Bachar al-Assad est juste» et que 100 000 morts, «ce n’est pas le problème», d’autres parlent moins directement. Dans leur digne rôle d’hommes de foi, ils prient pour la paix en Syrie et appellent à la coexistence et au dialogue… avec le président syrien.

Les liens entre les représentants des Eglises et le régime se sont construits de longue date. «C’est une politique d’achat méthodique développée depuis l’époque de Hafez al-Assad», raconte Ayman Abdelnour, bien placé pour le savoir puisque cet ingénieur chrétien de Damas a été l’un des médiateurs entre le régime et les dignitaires de sa communauté orthodoxe.

Il cite les avantages personnels accordés aux évêques, notamment l’autorisation de faire passer du Liban, sans droits de douane, des voitures de luxe à l’époque où les importations étaient quasiment interdites (dans les années 90) ou encore la dispense du service militaire obligatoire pour les hommes d’Eglise. «Il faut ajouter à cela l’électricité gratuite pour les lieux de culte et toutes sortes de passe-droits que les services de sécurité accordaient aux chrétiens par l’intermédiaire de leurs dignitaires religieux.»

Passé depuis 2004 dans l’opposition, Ayman Abdelnour, ancien conseiller de Bachar al-Assad et directeur de la rédaction du site d’information All4Syria.info, est le cofondateur, avec d’autres intellectuels, du mouvement «Syrian Christians for Democracy». Le rassemblement a été rejoint par des figures de l’opposition, tels Michel Kilo et des prêtres en exil, dont le remuant père Spyridon Tanous. «Notre objectif est d’attirer la communauté vers l’opposition et de priver le régime de la carte chrétienne», affirme Elias Warde, un autre membre fondateur de l’association. Ce docteur en physique nucléaire, enseignant à l’université d’Orsay, s’excuse quand il parle en tant que «chrétien» : «Je ne m’étais jamais défini politiquement en fonction de mon appartenance religieuse.» L’instrumentalisation des minorités a ainsi poussé les opposants à des regroupements sur une base communautaire.

«Impies». La carte de la protection des chrétiens est aussi brandie par l’un des principaux alliés du régime syrien, la Russie, via sa puissante Eglise orthodoxe, qui renforce ses liens avec les Eglises d’Orient. Moscou a imposé son candidat à la tête du Patriarcat grec orthodoxe d’Antioche, affirme Ayman Abdelnour à propos de l’élection, en décembre, du patriarche syrien Youhanna Yazigi en remplacement de Mgr Hazim, mort à 92 ans. Le règlement de l’Eglise, qui exige que le patriarche ait le rang d’évêque depuis plus de cinq ans, a dû être modifié pour permettre l’élection de Yazigi, âgé de 57 ans, métropolite de l’Europe de l’Ouest et centrale qui ne l’était que depuis quatre ans. «C’est le même procédé que le changement de la Constitution syrienne qui a permis la désignation de Bachar al-Assad en 2000, alors qu’il n’avait pas l’âge légal pour être président de la république», rappelle Abdelnour.

L’opposant confirme l’engagement des Russes, qui participent activement à la campagne de relations publiques du régime en jouant sur la jihadophobie auprès de l’opinion occidentale. Aucun relais d’opinion n’est négligé en Europe. Ainsi, la mère Marie Agnès Delacroix, une religieuse francophone qui tient réunions et conférences en Europe pour défendre le régime syrien, a même accepté l’invitation à Paris de l’association France-Israël pour parler des menaces qui pèseraient sur les chrétiens si le régime syrien tombait.

«Pas un seul chrétien n’a été tué en tant que tel depuis le début du conflit en Syrie», affirme Abdelnour. Toutefois, des églises ont été profanées et des croix brisées par des rebelles armés, notamment dans le nord du pays, où les mouvements extrémistes imposent leur loi et menacent les «impies». A Alep, le temple historique de l’Eglise évangélique a été miné par des explosifs qui l’ont détruite. Les enlèvements et demandes de rançon, qui se multiplient, ont visé particulièrement les chrétiens dans les zones de Hama et d’Alep. Comme tous les autres Syriens qui en ont les moyens, nombre d’entre eux ont fui vers les pays voisins, mais aussi pour l’Europe ou l’Amérique. La crainte de persécutions leur permettant d’obtenir plus facilement des visas et l’asile.

source: http://www.liberation.fr/monde/2013/05/19/damas-et-moscou-la-croix-et-la-banniere-des-chretiens-syriens_904103