Mons: deux réfugiés syriens ouvrent un petit restaurant – par Charlotte Legrand
Originaires d’Alep, Yaman et Amir Bach vivent en Belgique depuis quatre ans. Après une formation et un premier emploi, les deux frères lancent leur propre affaire, dans le domaine de l’Horeca. Rencontre et découverte, autour de quelques spécialités syriennes. (Reportage audio ci-dessous)
C’est un endroit coloré, chaleureux, situé rue des Fripiers. Au mur, deux grandes photos. Alep, bien sûr. La ville qu’ils ont quittée, contraints et forcés. La ville dans laquelle ils ont encore de la famille. « On a des nouvelles de temps en temps, ce n’est pas toujours évident« . La ville dans laquelle Amir et Yaman rêvent de retourner, « quand ça ira mieux ».
Objectif: faire saliver le client – © Charlotte Legrand
Leur arrivée remonte à 2013. « On a fait un petit tour de Belgique. Bruxelles, Liège, La Bouverie, Framerie, Jemappes, Mons… » Ils finissent par se poser, dans la région. « J’ai fait une formation de commis de cuisine, ici, et j’ai eu un diplôme! Donc je suis un petit chef de cuisine. J’ai appris la cuisine française et j’avais déjà des connaissances en cuisine orientale« , nous explique, tout fier, Yaman. Il a 22 ans. C’est le plus jeune.
« Moi j’ai 27 ans« , commence Amir. J’étais comptable en Syrie« . Il raconte leurs difficultés avec le français. « Surtout à l’école ! On a suivi des cours à Frameries. Mais par écrit, ça n’allait vraiment pas. » Un premier job d’un an dans une maison de repos les a aidés à mieux s’exprimer, se faire des contacts. « Puis on a décidé de se lancer et d’ouvrir notre restaurant. Le premier restaurant syrien de Mons. » Pour montrer qu’ils « se bougent ». Parce qu’ils veulent vivre de leur activité. « Et parce que le temps passe« , résume Amir.
Des photos d’Alep au mur – © Charlotte Legrand
Les Syriens on en entend beaucoup parler à la radio, à la télé… mais ici à Mons, on n’en voit pas beaucoup
Des clients passent la porte, curieux. « C’est la première fois que je viens, je connais la Syrie, j’y suis allé une fois. Un voyage magnifique« , explique ce Montois. La discussion s’engage, entre le client et les deux frères. « C’est souvent comme ça« , glisse Yaman. « Les gens veulent savoir notre histoire, c’est toujours un peu les mêmes questions. Vous savez, les Syriens on en entend beaucoup parler à la radio, à la télé… mais ici à Mons, on n’en voit pas beaucoup. Et des Syriens qui ouvrent un restaurant c’est quelque chose de nouveau. »
La nouveauté, voilà justement ce que recherche cette autre cliente. L’origine des « patrons » n’a pas d’importance, pour elle. Ce qu’elle veut, c’est « du goût, des épices, du fromage… tout ce que j’aime. Donc j’essaye. Ça change, non ? » Ça change, oui, attention aux olives qui ne sont pas pour tous les palais.
L’assortiment de « bouchées » est assez vaste, et c’est voulu. « Plus il y a de choses, plus on va plaire à des clients différents, c’est le but« , explique Amir. « On fait du salé, des petits farcis au fromage, aux épinards, à la viande. Des falafels. Mais aussi du sucré. Des bakklavas, des milkshakes, des desserts au fromage. Du houmous. Beaucoup de choses, et tout est fait maison ».
Une partie de l’assortiment – © Charlotte Legrand
Parmi leurs clients, Yaman et Amir comptent des familles syriennes, « bien contentes de ne plus aller à Bruxelles pour trouver des produits du pays« . Mais la majorité des acheteurs ce midi, ce sont des Belges qui travaillent dans le quartier. « Moi je suis bénévole chez Oxfam. J’ai vu qu’ils venaient de Syrie, c’est terrible ce qui se passe chez eux. Je veux leur donner un coup de pouce, les accueillir« . « Ce qu’ils font, ça change nos préjugés sur les réfugiés« , estime Pierre. « ici, nous voyons des gens qui rebondissent, qui viennent ouvrir quelque chose à Mons. Je leur souhaite plein succès« .
Marie-Christine fait, elle, déjà partie des habitués. « Je viens régulièrement, et j’en parle autour de moi. Ils sont vraiment très gentils. J’aimerais faire leur connaissance, discuter avec eux. Mais je n’ose pas parler de là-bas. Je sens que c’est douloureux pour eux, vraiment très douloureux« .
En quittant le snack, Marie-Christine nous confiera qu’elle aimerait aider d’autres réfugiés à « avancer« . « Pourquoi pas me mettre à leur disposition, ne serait-ce que pour faire des démarches avec eux? Les aider avec la langue française? » Ce ne sont pas des paroles en l’air. Le dernier réveillon de Noël, elle l’a passé avec des réfugiés.