Moscou, maître du jeu diplomatique – par Hala Kodmani
Depuis que son armée intervient sur le terrain, la Russie a pris de l’ascendant sur les Etats-Unis dans les pourparlers de paix.
Ce mois d’août était celui de toutes les promesses pour une sortie de crise en Syrie. Il aurait dû voir la mise place d’un organe de transition à Damas, selon le plan établi par la communauté internationale à la fin de l’année dernière. «Nous nous sommes accordés sur le calendrier pour un projet de constitution, choses que nous envisageons pour août», annonçait fin mars encore le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, lors d’une rencontre avec le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov. A défaut, le 1er août a été la nouvelle date limite fixée par l’ONU pour la reprise des pourparlers à Genève entre le régime de Bachar al-Assad et l’opposition. C’est peu dire que la bataille d’Alep a bousculé le calendrier diplomatique. Pourrait-il en être autrement quand les parrains et les partisans d’une «solution politique» sont pour la plupart engagés militairement, à différents titres, sur le terrain ou dans le ciel syrien ?
«Preuve»
Considérée partout comme «la seule possible», selon la formule consacrée, répétée au Quai d’Orsay et dans d’autres chancelleries, l’issue politique au conflit syrien n’avance pas avec des déclarations. Elle dépend de trop d’acteurs internationaux, régionaux et locaux aux ambitions et aux stratégies opposées, et qui interviennent directement sur le terrain. Les uns et les autres avaient pourtant entamé un processus sérieux en novembre à Vienne. Sans aucun Syrien représenté, les 20 pays les plus impliqués et les plus influents s’étaient mis d’accord sur «une feuille de route pour la paix». Entériné en décembre par une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU votée à l’unanimité, le plan devait conduire à l’adoption d’une nouvelle constitution pour la Syrie et à l’organisation d’élections dans les dix-huit mois suivants. Un Groupe international de soutien à la Syrie (Giss) a été constitué à Vienne pour suivre l’application du plan. Ses coprésidents, la Russie et les Etats-Unis, ont souvent préféré gérer le dossier à deux. Les partenaires européens, arabes, iranien ou turc, mais aussi les Syriens eux-mêmes attendaient l’issue du dialogue entre Kerry et Lavrov pour tenter de comprendre ou peser sur leurs orientations.
Samedi, dans une lettre adressée à ses homologues américain et russe, Jean-Marc Ayrault a exhorté Washington et Moscou à «donner la preuve du sérieux de leur engagement» pour une solution politique en Syrie et à «tout mettre en œuvre pour conjurer l’échec». Le ministre français des Affaires étrangères évoque «une dernière chance de prouver la crédibilité et l’efficacité du processus politique lancé il y a près d’un an à Vienne».
Le tête-à-tête a été voulu dès le début par Moscou pour s’imposer à nouveau, à la faveur du conflit syrien, comme le pendant de Washington sur la scène internationale. Dans le couple, c’est une Russie déterminée qui mène le jeu depuis octobre et l’intervention directe de son armée en Syrie, tandis que l’administration Obama poursuit sa gestion hésitante du dossier. Il y a quelques jours encore, les deux parrains respectifs du régime syrien et de l’opposition se sont écharpés une nouvelle fois après les derniers gains des forces pro-régime à Alep. John Kerry a demandé aux protagonistes à Alep de faire preuve de retenue. Un appel jugé «inacceptable» par Moscou. «Dès qu’il y a des progrès dans les combats contre les terroristes, grâce à l’armée syrienne avec notre soutien, les Américains nous demandent d’arrêter de les combattre», a critiqué le vice-ministre des Affaires étrangères, Sergueï Ryabkov.
Assurer des avancées décisives des forces pro-régime sur le terrain pour permettre à Bachar al-Assad de négocier en position de force à Genève, face à des opposants affaiblis et divisés, reste la stratégie gagnante de Moscou. Son grand avantage par rapport aux acteurs internationaux et régionaux impliqués en Syrie est de ne pas avoir de priorité intérieure : ni menaces terroristes comme en France ou en Allemagne, ni risque de putsch comme en Turquie, ni échéance électorale majeure comme aux Etats-Unis.
«Sarajevo»
«La tragédie d’Alep révèle la faiblesse occidentale, selon Roger Boyes, éditorialiste de The Times. Ce siège est le Sarajevo du XXIe siècle et on l’ignore tant on est accaparé par les attentats terroristes sur notre continent. Une victoire russe permettra non seulement à Al-Assad de rester au pouvoir, mais installera la Russie durablement au Moyen-Orient.» Roger Boyes conclut : «C’est en tout cas une humiliation pour l’Occident et le résultat d’années de défaitisme.»
Vladimir Poutine, le 29 juin à Moscou. Photo Alexander Zemlianichenko. Pool. AFP