Nouvel assassinat d’un militant révolutionnaire syrien en Turquie

Article  •  Publié sur Souria Houria le 31 décembre 2015
Naji al-Jarf

Naji al-Jerf

Gaziantep est une ville à proximité de la frontière syrienne. A une demi-heure de route. D’une certaine importance démographique et économique, elle accueille depuis le début de la révolution syrienne de nombreux réfugiés ayant fait le choix ou ayant été contraints de quitter la Syrie. Certains quartiers pourraient même prendre l’apparence d’une Little Syria, voire d’une Little Aleppo, la citadelle de Gaziantep pouvant rappeler sa grande sœur alépine. La proximité entre cette ville et la capitale du nord syrien pourrait s’arrêter là. Mais Daech en a décidé autrement.

Ce 27 décembre 2015, la barbarie du groupe djihadiste a semble-t-elle décidé de rapprocher encore plus Gaziantep de la Syrie, suite au lâche assassinat de Naji al-Jerf.

Naji al-Jerf était un journaliste syrien, n’ayant pas hésité à s’engager dans cette révolution syrienne qui inspirait à ses débuts tant d’espoir et d’aspiration à plus de liberté. Malgré la dégradation de la situation dans son pays, il n’a jamais baissé les bras et a fait le choix de s’engager fermement, s’opposant à quiconque aurait cherché à s’accaparer le mouvement populaire. Partisan du dialogue et d’une résolution politique, malgré son opposition viscérale au régime, il n’avait pas hésité à se prononcer en défaveur d’un soutien armée à la rébellion. A ses yeux cela aurait contribué à prolonger un conflit qui chaque jour met à mal les espoirs du mouvement civil des premières heures et fragmente le pays en région contrôlées par des « zu’ama’« , des chefs de guerre qui trouveraient peu d’intérêt à un arrêt des hostilités.

Naji al-Jerf fait parti de ces milliers de Syriens qui ont décidé de porter la voix de leur révolution d’une manière pacifique, et ce quoi qu’il leur en coûte. Il avait constitué un organe de presse, Henta, et continuait d’exercer son activité de journaliste en Syrie même, au péril de sa vie. Récemment, la chaîne al-Arabiya a diffusé l’un de ses reportages, narrant la manière dont Daech s’en est pris au mouvement civil et révolutionnaire dans la ville d’Alep entre 2013 et 2014, avant d’en être chassé par la rébellion.

Bien loin des reportages sensationnalistes dont on nous abreuve, Naji al-Jerf n’a pas fait le choix de s’embedder avec un groupe armé. Au contraire, il a décidé de montrer et rapporter des témoignages qui font terriblement défaut au public occidental. Il a ainsi retracé la manière dont Daech s’en est pris à des figures du mouvement pacifique, à l’image d’Abu Mariam, héraut des manifestations de Bustan al-Qasr, kidnappé en 2013 puis exécuté sous l’accusation d’apostasie et de « laïcisme ». La disparition de cinq membres d’une organisation civile, appelée « Ana Souri«  (« je suis Syrien ») est également documentée dans ce film.

Naji al-Jerf est né en 1977 dans la ville de Salamiyeh. Agé de 37 ans, il laisse une femme et deux filles derrière lui.

L’une de ses dernières réalisations aura été le tournage d’un film sur les activités d’un groupe d’activistes syriens basé à Raqqa, et documentant jour après jour, au péril de leur vie et de leur proche, la vie sous domination de Daech : Raqqa is Being Slaughtered Silently (RBSS). Sa proximité avec ces jeunes activistes de Raqqa – traqués inlassablement par Daech en raison de leurs activités séditieuses dans la « capitale du califat » – lui aura peut-être coûté la vie…

Mais cela ne surprendra pas les connaisseurs de la Syrie. Daech fait ainsi figure d’une pâle et morbide copie du régime de Bachar al-Assad. Ceux que les deux craignent par dessus tout est représenté dans ces activistes, jeunes, intègres, fondamentalement pacifiques et aspirant à la libération politique de leur peuple. En éliminant Naji al-Jerf et de nombreux militants de RBSS, Daech ne fait qu’accomplir sur les territoires qu’il contrôle ce que le régime syrien n’a pas eu le temps d’achever : rendre la révolution syrienne orpheline de son esprit originel.

Cette disparition ne peut que faire écho à celle de Zahran Alloush, leader du groupe islamiste Jaïch al-Islam, tué dans une frappe aérienne le 25 décembre. Ce dernier, bien qu’opposant au régime syrien et même à Daech, représentait à bien des égards l’antipode de Naji al-Jerf et des activistes du mouvement civil. Il faisait partie de ces zu’ama’, ces chefs de guerre qui ne semblent vivre que par elle et ne tolère aucune contestation. Zahran Alloush et son groupe font ainsi figure de principal suspect dans la disparition de quatre figures de la révolution pacifique et démocratique initiée en 2011: Razan Zeitouneh, Samira Khalil, Waël Hamadeh et Nazem Hammadi. Sans nous réjouir de la mort de personne, espérons au moins que la disparition de Zahran Alloush permette leur libération prochaine.


Cet article aurait pu être écrit bien avant ce triste jour. Des activistes, journalistes-citoyens, des militants pacifiques et démocrates disparaissent chaque jour en Syrie, sous les coups de boutoir du régime ou des djihadistes. Nous ne pouvons en faire une recension, la tâche s’avérant impossible. Mais cet article et ce blog ne peuvent qu’être dédiés à ces héros bien souvent anonymes, le bruit des plumes et des caméras semblant bien silencieux à côté de celui des balles…

Al baz furati

Ibrahim ‘Abd al-Qader

– Ibrahim ‘Abd al-Qader, dit al-Baz al-Furati, 20 ans, membre de RBSS, tué par Daech en octobre 2015 à Urfa (Turquie)

Fares Hamadi

Fares Hamadi

– Fares Hamadi, journaliste, tué par Daech à Urfa en octobre 2015

M

Mo’taz Billah Ibrahim

– Mo’taz Billah Ibrahim, 21 ans, membre de RBSS, exécuté par Daech à Raqqa en 2014

Ahmad

Ahmad Mousa

– Ahmad Mousa, membre de RBSS, tué à la mi-décembre 2015 à Idlib par des hommes masqués

Hamoud Mousa

Mohammad Mousa

– Mohammad Mousa, père d’un activiste de RBSS, exécuté dans une mise en scène par Deach, suite au refus de son fils de dénoncer ses camarades

Abd al-Wahab Malla

Abd al-Wahab Malla

– ‘Abd al-Wahab al-Malla, journaliste-citoyen d’Alep, kidnappé en novembre 2013