Nouvelles d’Alep – par Fay Badrane

Article  •  Publié sur Souria Houria le 7 août 2012

© Khaled Akil (photo reproduite avec l'autorisation du photographe)

Les informations que je reçois de ma famille et de mes amis en Syrie – via internet et les réseaux sociaux – sont très sombres et très alarmantes comme le ciel bas et lourd qui pèse sur Alep dans cette photo.

Alep, où Bachar Al-Assad a décidé de lancer la « mère des batailles » depuis quelques jours, avec l’objectif de mater définitivement la révolte de son peuple. Se maintenir au pouvoir à tout prix, lui et sa clique, telle est sa ligne de conduite. Quitte à massacrer, dans sa folie meurtrière, jusqu’au dernier syrien. Alep qui, aujourd’hui, malgré la résistance, meurt bombardée et privée de tout.
Pendant que Hama, Homs, Deraa et d’autres villes se faisaient écraser, le silence d’Alep et de ses habitants a longtemps été décrié par le reste de la population syrienne. En fait, depuis plus d’un an, c’est une ville muselée et contrôlée d’une main de fer par les chabbiha (milices d’Assad) car le régime a très vite compris qu’un soulèvement d’Alep, poumon économique du pays, lui serait fatal. Mais les Alépins ne pouvaient faire exception par rapport au reste de leurs concitoyens. Et c’est ainsi que le couvercle a sauté au mois de mai dernier et que la contestation a fusé tel un volcan, avec d’abord les étudiants qui ont été les premiers à manifester. Il s’en est suivi une répression impitoyable, des arrestations par centaines et des tueries au sein même du campus universitaire.

Depuis, Alep, elle aussi, a connu jour après jour des manifestations de plus en plus massives mais toujours pacifiques appelant, ici comme ailleurs, à la liberté, à la dignité et au départ du despote qui, avec le soutien de ses sbires, règne sans partage sur le pays. C’en était trop pour le régime qui a donc décidé de la faire plier, de la réduire à néant… en envoyant, le 28 juillet dernier, ses colonnes de chars, ses avions et ses hélicoptères. Et ce n’est rien moins qu’une nouvelle déclaration de guerre qu’Assad fait à son peuple opprimé depuis 40 ans. Aujourd’hui, à Alep, les combats qui font rage provoquent l’exode massif des habitants vers la Turquie voisine, dans le dénuement et la détresse extrêmes.

C’est aussi la guerre des communautés, la guerre de tous contre tous que le régime veut provoquer, même dans cette cité plusieurs fois millénaire qui fut hittite, araméenne, grecque, romaine avant de devenir arabo-musulmane et ottomane, ayant abrité depuis des siècles chrétiens et musulmans mais aussi des juifs jusqu’à un passé pas trop lointain. Ne dit-on pas qu’elle est la ville la plus ancienne du monde avec Jérusalem et Damas et que son nom originel, Halab, vient de l’araméen (Halba) – langue du Christ encore parlée en Syrie – et signifie blancheur, en référence à la couleur de son sol, de sa pierre. Dans une autre version, son nom viendrait de ce que Abraham y trayait son troupeau (Halab, du verbe « traire » en arabe et racine du mot « halib » lait en arabe). Sans tomber dans une vision idéalisée de ce passé, c’est dire son ancrage historique, pluriculturel et multiconfessionnel à présent mis en péril.

Des voix se sont élevées ces dernières 24 heures pour appeler à la protection des chrétiens de Syrie contre les exactions qui les guettent. On doit toujours craindre que l’esprit de vengeance anime certains au point de les conduire à commettre des actes irréparables. Mais ce sont tous les Syriens qui sont en danger dans cette guerre orchestrée par le régime qui, restant sourd aux revendications de son peuple, n’a rien voulu lâcher, selon la logique « moi ou le chaos ». De nombreux Syriens le savent, qui témoignent de leur volonté de ne pas céder à l’esprit de revanche, à la loi du « œil pour œil et dent pour dent » : ainsi, à Alep, suite à l’exécution intolérable perpétrée voici trois jours contre des membres du clan Berri (sunnite) favorable à Assad, les condamnations de Syriens de cet acte barbare ont fusé de toutes parts sur Facebook (unique espace d’expression), au nom du respect de la convention de Genève pour les prisonniers de guerre ; vendredi 3 août, à Yabroud (à 80 km de Damas), d’après le Comité de coordination de cette ville, l’église du lieu a appelé l’importante communauté chrétienne à faire le jeûne du ramadan en solidarité avec les musulmans, pour rester fidèle à la longue coexistence pacifique entre les deux communautés. On pouvait lire dans cet appel : « La rupture du jeûne se fera dans le préau de l’église. Nous resterons à jamais unis comme les doigts d’une main ! Cette révolution est celle de tout le peuple syrien. » Dans ce contexte de chaos et de désespoir, de telles initiatives méritent d’être mentionnées.

Les Syriens ne peuvent pas comprendre l’inertie des nations face à la guerre de religions et des communautés qui menace de détruire leur pays et leur histoire, face au drame quotidien qu’ils vivent dans un huis clos inhumain. Alors, c’est sur la toile qu’ils lancent leurs appels, leurs cris et qu’ils expriment leurs messages d’espérance parfois teintés d’humour. Je veux ici simplement vous en faire partager quelques-uns.

Mail reçu d’Alep le 29 juillet 2012

« Ne t’inquiète pas. Ce matin, j’ai retrouvé ma mère et tous mes frères. Nous nous sommes dit adieu car c’est peut-être la dernière fois que nous nous voyons.
Les missiles sont aveugles et les roquettes encore plus. Voilà la situation que vivent les gens d’Alep en ce moment. Tout le monde attend la délivrance, par la mort ou par la victoire. L’hôpital Ibn Rochd (Averroès) à Alep est évacué de tous les patients qui sont transférés dans un hôpital de campagne appartenant aux milices d’Assad. Ceux qui sont atteints de maladies chroniques, comme les maladies des reins, ne sont dirigés vers aucun autre hôpital. A eux de se débrouiller tout seuls dans de pareilles circonstances. C’est ce qui a été annoncé à ma mère aujourd’hui, elle qui a besoin d’une dialyse chaque semaine. D’autres malades ont besoin d’être dyalisés deux ou trois fois par semaine. Les crimes du régime affectent tous les secteurs de la vie. »

Un tag sur un mur de la faculté de médecine d’Alep

L’an dernier, l’étudiant classé premier avec distinction, est notre camarade Ali Melhem qui a passé 5 mois dans les geôles d’Assad.
L’année précédente, le premier de la promotion avec aussi distinction est le héros Hayyan Al-Mahmoud qui est mort hier sous la torture des services de renseignements. Il n’y a qu’en Syrie que les meilleurs étudiants sont honorés par la prison ou le martyre.

Blague postée sur Facebook le 30 juillet

« Pardon cher Salvador Dali, ce qui est arrivé aujourd’hui à l’école Hassân Kayali à Alep dépasse de loin ton surréalisme… Un premier mariage y a été célébré dans la communauté des réfugiés… deux amoureux musulmans, laïques, ont uni leur destinée. Le père de la mariée a tenu que les témoins soient chrétiens… A ces noces ont dansé des kurdes, des alaouites, des chiites, des ismaélites, des chrétiens : la Syrie toute entière a célébré leur mariage. Il y a ceux qui tentent d’assassiner la vie par les bombardements et les massacres… et nous avec AMOUR nous traçons le chemin de notre LIBERTE… Félicitations sincères aux jeunes mariés. »

Vidéo de l’évêque et des chrétiens de Yabroud accueillant les musulmans à l’église

 

Vidéo de la rupture du jeûne de ramadan au sein de l’église de Yabroud

 

Pancartes (manifestation à Damas) :
« Les erreurs commises au nom de notre révolution sont plus nocives que les balles du régime »

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« Quand tu combats ton ennemi, prends garde à ne pas suivre son éthique et à lui ressembler »

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Pancarte (à Kafr Soussa, près de Damas) : 
« La différence entre la justice et la vengeance  est la même que celle entre la révolution et le régime »

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source : http://www.huffingtonpost.fr/fay-badrane/alep-syrie-repression-revolution_b_1736300.html