OBAMA SE TROMPE DE GUERRE EN SYRIE – par Jean-Pierre Filiu

Article  •  Publié sur Souria Houria le 23 juin 2013

L’historien mesure moins mal que d’autres combien les leçons du passé servent peu les décideurs du moment. Mais la confusion atteint parfois des sommets du tragique. Barack Obama mène ainsi avec constance une politique calamiteuse en Syrie en se trompant de guerre d’Irak… et de président Bush. L’obsession de l’actuel locataire de la Maison blanche est en effet de ne pas répéter les funestes erreurs de son prédécesseur en Irak en 2003. Ce faisant, il renouvelle les fautes commises par Bush père en Irak en 1991.

​Rappelez-vous. Les troupes de Saddam Hussein avaient été boutées hors du Koweït au cours d’une offensive terrestre de cinq jours, un cessez-le-feu avait été conclu entre généraux américains et irakiens, spécifiant que l’utilisation d’armes chimiques serait un casus belli. Croyant au message de liberté venu des Etats-Unis, la plus grande partie du territoire irakien avait levé l’étendard de la révolution contre Saddam Hussein. Mais les commandos du despote écrasèrent le soulèvement dans le sang, au prix de dizaines de milliers de morts, non sans recours aux armes chimiques.

​La politique de l’administration Bush senior fut alors de nier avec constance cet emploi d’armes prohibées, car l’admettre aurait contraint Washington à relancer la guerre contre Saddam. Or le dictateur irakien apparaissait désormais comme un moindre mal face à une insurrection perçue comme manipulée par Téhéran. Deux décennies d’embargo, de guerre, d’occupation et d’attentats plus tard, c’est un gouvernement pro-iranien qui s’accroche au pouvoir à Bagdad, n’en déplaise aux stratèges de Washington.

​Remplacez « Irak » par Syrie, « Saddam » par Bachar, « pro-iraniens » par « jihadistes ». Obama, se croyant réaliste, pense aussi mal que Bush père. Son administration s’est épuisée à étouffer les preuves réitérées d’emploi d’armes chimiques par les nervis de Bachar al-Assad. Certes, leur utilisation est plus limitée aujourd’hui en Syrie qu’en 1991 en Irak. Mais la dynamique de « l’Etat de Barbarie », ainsi que le regretté Michel Seurat qualifiait le régime Assad, le conduira à recourir de plus en plus fréquemment et massivement au gaz sarin.

​Quant à l’épouvantail « jihadiste », il a la même fonction en Syrie que le repoussoir « pro-iranien » vingt ans plus tôt en Irak. Une révolution nationale et populaire est réduite à une ingérence extérieure, hier de l’Iran en Irak, aujourd’hui du Golfe en Syrie. Une telle imposture alimente le discours de la dictature, elle fait surtout le lit des extrémistes qu’elle est supposée combattre, en justifiant le refus d’un soutien effectif aux forces proprement révolutionnaires. Bush père a livré le peuple irakien aux bourreaux de Saddam, son fils l’a livré aux agents de l’Iran. Obama, en abandonnant les Syriens aux tortionnaires de Bachar, ouvre la voie au pire cauchemar jihadiste.

​Le « tournant » amplement médiatisé de Washington n’est qu’une sinistre mascarade de plus. Que dire de ce sous-fifre de la Maison blanche qui s’exprime sur un sujet aussi grave en lieu et place du chef de l’Etat ? Que penser d’une livraison d’armes annoncée par voie de presse, quand les pilonnages se poursuivent sans répit sur le terrain ? Comment se fier à une administration qui refuse par avance les armements anti-aériens, alors que les avions et les hélicoptères d’Assad sèment la terreur dans les zones tenues par la révolution ?

​Il y a plus d’un an, Jonathan Littell rapportait ses formidables « Carnets de Homs ». L’historien ne peut que saluer cette chronique « d’un moment bref et déjà disparu, les derniers jours du soulèvement d’une partie de la ville de Homs contre le régime de Bachar al-Assad, juste avant qu’il ne soit écrasé dans un bain de sang ». Le monde entier a laissé Homs la rebelle ravagée par la terreur du despote. Aujourd’hui, c’est à Alep que les égorgeurs du régime massent leurs forces pour y enterrer la révolution.

​Alep, capitale des femmes et des hommes libres de Syrie, ne doit pas tomber. Il n’en va pas que de notre conscience, mais bel et bien de notre sécurité. Car c’est du ventre fécond de la « Syrie des Assad » que renaît aujourd’hui la bête immonde. Espérons enfin qu’Obama cessera de se tromper de guerre et de Bush. Et s’il persiste dans cette erreur fatale aux Syriens, que la France, à la pointe de la dénonciation de la barbarie des Assad, se grandisse en assumant ses responsabilités de puissance.

Professeur des universités en histoire du Moyen-Orient contemporain (Sciences Po, Paris)

Source :http://www.liberation.fr/monde/2013/06/20/l-erreur-de-barack-obama-en-syrie_912507