Offensive de séduction du clan Bachar – par Claude Angeli
Des émissaires vont dire, en Europe, que leur chef est le seul rempart face aux djihadistes.
Au Quai d’Orsay, le silence reste la règle. Laurent Fabius n’aime pas s’exprimer publiquement sur ces groupes djihadistes dont l’influence s’accroît. Mais, en privé, plusieurs de ses diplomates admettent qu’il faut s’alarmer de « cette montée en puissance » du Front Al-Nosra, qui, adoubé par Al-Qaida, rêve d’instaurer « un émirat islamique » à Damas avec ses divers « associés salafistes ». Parmi lesquels le Groupe combattant tunisien et le réseau Ansar Al-Charia, qui, à eux deux, ont accueilli « plusieurs centaines » de volontaires arrivés de Tunis, à en croire les services français.
En revanche, Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, se montre plus loquace que le patron du Quai d’Orsay. Il vient de déclarer, avec l’accord de l’Elysée, qu’il fallait tenir compte du danger islamiste. Comme les journalistes du « Parisien Dimanche » lui demandaient, le 27 avril, s’il était « favorable » à une livraison d’armes modernes aux insurgés, Le Drian a répondu, sans faire ouvertement référence aux djihadistes, tout à fait capables de profiter de l’aubaine : « On doit d’abord multiplier les efforts pour trouver une issue politique (…). Même très incertaine, c’est la seule solution pour éviter la poursuite des drames et des souffrances. »
Vingt-quatre heures plus tard, sur Europe 1, Laurent Fabius évoquait lui aussi la « recherche d’une solution politique » pour mettre fin à cette guerre, comme le précisent les « éléments de langage » fournis aux ministres par l’Elysée. Autre signe des temps, un officier français a tenté de renouer le contact avec les services syriens de renseignement. Mais sans succès, semble-t-il.
À plusieurs reprises, à la télévision syrienne comme lors de ses déclarations à la presse américaine ou russe, Bachar a justifié son combat contre l’insurrection par la présence, sur le terrain, de djihadistes internationaux et des Frères musulmans, tous partisans de la charia. Mais cela ne lui suffit plus. Il a récemment chargé son Premier ministre, Wael al-Halki, de mener une campagne sur ce thème à l’étranger : le gouvernement syrien reste le seul rempart face aux méchants islamistes.
Mission de charme
Des émissaires, membres de sociétés syriennes et proches du clan Bachar, se sont ainsi rendus en Europe auprès des hommes d’affaires qu’ils connaissent de longue date — notamment en France, en Allemagne et en Grande-Bretagne — pour répandre la bonne parole. Que l’on peut résumer ainsi : « Nous sommes tous associés, vous et nous, dans la lutte contre le terrorisme international. Faites-le savoir autour de vous. » Sous-entendu, aux responsables politiques.
Une « offensive de charme » qu’un diplomate français n’estime guère convaincante, mais qu’il ne faut surtout pas comprendre, selon lui, comme l’« initiative d’un dictateur désespéré ». Traduction, par un officier spécialiste du dossier syrien à l’état-major des armées : « La position officielle de Damas est qu’il s’agit d’une guerre de civilisations, et, dans cette optique, la Syrie demeure le seul Etat laïc du monde arabe. »
« Guerre de civilisations » ? C’est à croire que le chef syrien a adopté cette formule jadis sortie, peu avant les guerres d’Irak et d’Afghanistan, de la bouche des néoconservateurs américains… «Avec l’intention, affirme un diplomate français plutôt hostile aux arguments de Bachar, de convaincre les Européens que le danger islamique, voire salafiste, grandit inexorablement en Egypte, en Libye et en Tunisie. Et qu’il vaudrait mieux, pour nous tous, que le régime syrien tienne bon ». Manque de chance, l’armée syrienne est accusée d’avoir utilisé des armes chimiques…
Moralité, il n’y en a pas. Qui a envie de choisir de bon cœur entre Bachar, les Frères musulmans et les djihadistes ?
source : « Le Canard enchaîné »
date : 30/04/2013