ONU : «Permis de tuer en Syrie» – Par FABRICE ROUSSELOT

Article  •  Publié sur Souria Houria le 6 février 2012

Moscou et Pékin ont posé leur veto contre la résolution sur la transition démocratique du régime de Damas. Les Occidentaux déplorent le déclin du Conseil de sécurité, «pris en otage».

«L’ambiance est très lourde, résume un diplomate, il y a un énorme sentiment de gâchis.» Au lendemain des veto russe et chinois à la résolution condamnant la répression en Syrie, l’ONU ne pouvait dresser, hier, que le constat de son proche échec. Après des mois d’interminables négociations, le Conseil de sécurité n’a pu imposer un texte pour demander la fin des violences, ouvrant une crise à New York que certains considèrent comme «majeure», au sein d’un organisme ouvertement divisé.

«Ce vote représente une grande déception, a commenté le secrétaire général, Ban Ki-moon. Il amoindrit le rôle des Nations unies et de la communauté internationale à un moment où elles doivent présenter un front uni.» Les diplomates pensaient pourtant avoir une chance de mettre fin à l’impasse, samedi matin, en appelant à un vote quelques heures après avoir reçu des informations faisant état du bombardement de Homs, dans la nuit de vendredi à samedi, qui a tué plus de 230 civils, selon l’opposition. Les puissances occidentales avaient pris soin de multiplier les concessions à Moscou, en édulcorant au maximum le projet de résolution présenté il y a plus de deux semaines par le Maroc et qui reprenait les grandes lignes du plan de la Ligue arabe appelant à une transition démocratique en Syrie. Si le document disait «soutenir pleinement» l’initiative de la Ligue arabe, il ne faisait ainsi plus aucune allusion à un transfert des pouvoirs de Bachar al-Assad à son vice-président, et n’évoquait aucune sanction ou embargo, tout en prévenant une intervention militaire extérieure.

Dernier allié. Au final, treize des quinze membres du Conseil de sécurité ont approuvé la résolution, avant que la Russie, suivie par la Chine, ne s’y oppose. Moscou, qui avait déjà brandi, avec Pékin, son veto à une résolution sur la Syrie en octobre, a justifié sa décision en assurant que le texte n’était pas assez «équilibré». Depuis une conférence sur la sécurité à Munich, le ministre des Affaires étrangères, Serguei Lavrov, a estimé que le texte aurait pu provoquer «une guerre civile en Syrie». Dans les premières heures de la matinée, samedi, la délégation russe à New York avait tenté d’imposer des amendements, soulignant la responsabilité de l’opposition et du Conseil national syrien dans les violences. Ce qui a été considéré par les Occidentaux comme une tentative de gagner du temps.

En réalité, la Russie, qui rejette depuis des mois toute résolution susceptible d’aboutir au départ du président syrien, son dernier allié dans la région, semble avoir durci sa position ces dernières semaines, alors que le pays est en pleine campagne électorale. Vladimir Poutine, en reconquête de la présidence, n’a pas pardonné à Medvedev d’avoir laissé voter la résolution sur la Libye, qui avait permis l’intervention des forces alliées contre Kadhafi. «L’intransigeance russe est à mettre en rapport avec la présidentielle, assurait il y a quelques jours une source onusienne à Libération. On a l’impression que Poutine a déjà repris la main et que Moscou fait du jusqu’au-boutisme pour montrer sa détermination.» Le double veto russe et chinois a ouvert une fracture à l’ONU qui mettra du temps à se refermer, alors que la colère des Occidentaux s’est largement exprimée dans l’immeuble de verre de New York. Laissant de côté le traditionnel langage diplomatique, l’ambassadrice américaine, Susan Rice, a souligné que les «Etats-Unis étaient dégoûtés», dénonçant la «prise en otage» du Conseil de sécurité par deux de ses membres. Elle a même pointé du doigt les ventes d’armes russes à Damas, suggérant que c’était l’une des principales raisons de l’attitude de Moscou. Le représentant français, Gérard Araud, a déploré de son côté «un triste jour pour ce Conseil, pour les Syriens, un triste jour pour les amis de la démocratie». Avant de se tourner vers son homologue syrien et de lancer : «Le père tuait massivement, le fils en fait autant. L’horreur est héréditaire à Damas.» Hier, le Conseil national syrien a estimé que ces veto donnaient «un permis de tuer dans l’impunité» au régime.

Hors du cadre. Dans les capitales occidentales, les réactions étaient aussi très vives. Obama a appelé le président syrien à quitter le pouvoir. A Paris, Alain Juppé a parlé de «crimes contre l’humanité», tandis que de nombreux Syriens s’en prenaient à leurs ambassades à travers le monde, en signe de protestation. La France a annoncé qu’elle allait se concerter avec ses partenaires pour créer un Groupe des amis du peuple syrien qui continuera d’appuyer la mise en œuvre du plan de la Ligue arabe. Au vu du blocage, il semble que les prochaines initiatives diplomatiques sur la Syrie se feront en dehors du cadre onusien.

Même si personne n’en attend grand-chose, Lavrov a confirmé qu’il comptait se rendre demain à Damas pour une «mission de médiation». «Pour l’instant, tout est bloqué à l’ONU, conclut un diplomate. Les positions sont tellement éloignées qu’il n’y a plus de discussion possible.»

source: http://www.liberation.fr/monde/01012388056-onu-permis-de-tuer-en-syrie