Paroles de Syriens, pour le 3ème anniversaire de la révolution en Syrie (9) – par Nora Al Amir – présenté par Ignace Leverrier

Article  •  Publié sur Souria Houria le 9 avril 2014

Dans des conditions humainement et matériellement atroces,
la révolution syrienne entame en ces jours sa quatrième année.
Chacun à sa façon,
des citoyens et des responsables de l’opposition syrienne
ont accepté de résumer en quelques lignes
le message qu’ils souhaitaient à cette occasion
adresser à la population française.

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Nora AL AMIR
citoyenne syrienne
activiste et vice-présidente de la Coalition nationale

Nora al-AmirNora al-Amir

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Nul autre pays n’est mieux placé que la France, qui a joué un rôle primordial dans les révolutions populaires à l’époque moderne, pour comprendre ce que veut le peuple syrien. Vous êtes vous-mêmes, en tant que Français, le produit d’une révolution populaire dont les héros et les sacrifices n’ont rien à envier à la révolution du peuple syrien.

Mais je me dois d’être sincère avec vous, au moment de m’exprimer au nom du peuple auquel j’appartiens. Je laisserai de côté le langage diplomatique pour vous dire, au nom des femmes, des mères, des sœurs, des jeunes-filles, des étudiantes, des détenues et martyres, que votre crédibilité est en jeu. La vôtre, mais aussi celle des Nations Unies, des Droits de l’Homme et de la communauté internationale dans son ensemble. Votre crédibilité est confrontée à la politique. Elle est mise à l’épreuve de l’homme. Elle est soumise au test de l’Histoire qui n’épargne personne. Il est important de faire pression pour obtenir la mise en jugement de Bachar al-Assad, pour le contraindre de lever le siège des villes et pour l’obliger à écouter la voix de la démocratie. Mais il n’est pas moins important de lui retirer son arsenal chimique et d’imposer la mise en œuvre d’une véritable solution aux problèmes humanitaires, étroitement liés en Syrie à la situation politique.

Je m’adresse à vous au nom d’une révolution populaire contre laquelle se sont ligués avec férocité des conflits d’intérêts, des appétits politiques et des dictateurs solidement en place. Je le fais au nom d’une révolution déclenchée par des mains d’enfants. Ils ont été les premiers à allumer la mèche de la révolte, comme pour dire au monde entier que la révolution abolit tous les titres et détruit les paradoxes liés à l’espèce et au genre. Dans la révolution, les hommes ne l’emportent pas sur les femmes. Les adultes ne l’emportent pas sur les enfants. Aucun être humain ne l’emporte sur un autre, si ce n’est par son engagement révolutionnaire et ce qu’il donne de lui-même pour la terre de sa patrie.

Je m’adresse à vous aujourd’hui au nom de cette petite fille syrienne dont les mots d’enfant ne parviennent pas à convaincre les seigneurs de la guerre et les chefs politiques de répondre à cette question : « Pourquoi le visage des enfants de mon pays doivent-ils être souillés de sang alors que celui des enfants du monde entier sont barbouillés de chocolat ? »

Je vous chuchote à l’oreille, vous qui habitez le pays des Droits de l’Homme. Je vous assure que ni les enfants, ni les femmes n’ont plus de place en Syrie. La révolution a modifié tous les critères qu’on nous avait inculqués. Elle a modifié les priorités pour lesquelles nos militaires se battaient auparavant. Nous réclamions alors des droits pour les femmes et des droits pour les enfants. Nous réclamions tous les autres droits universellement reconnus, consacrés par les législations internationales. Nous y avons cru, comme nous avons cru aux idées que nous invoquions et pour lesquelles nous nous sacrifions. Mais le Printemps arabe – le Printemps syrien surtout – a dépouillé de leurs oripeaux tous les arbres internationaux. Il a emporté toutes les feuilles de vigne politiques, nous laissant devant une seule et unique vérité : c’est le machiavélisme qui prévaut, ce sont les intérêts qui président seuls aux relations internationales.

Nous avons finalement compris que notre problème, en Syrie, n’est ni celui du droit des femmes, ni celui du droit des enfants, comme on a tenté de nous le faire croire. Il est celui de l’homme. Celui de tout homme et de tous les hommes. Nous avons découvert que parler de la cause des femmes et des enfants, comme nous le faisions en toute bonne foi, n’est guère plus qu’un euphorisant utilisé par la dictature et par les grands de ce monde pour détourner les peuples arabes de leur droit à la liberté.

Je peux vous affirmer que notre révolution, en Syrie, est parvenue à remettre de l’ordre dans les priorités sociales et politiques. Elle nous a permis de découvrir que notre problème ne réside pas dans la non application des chartes des Nations Unies ou dans la violation des pactes des Droits de l’Homme sur les divers formes de discrimination contre les femmes, par exemple. L’affaire est bien plus considérable : c’est contre toutes les formes de discrimination dont l’être humain est victime qu’il nous faut nous mobiliser.

A ceux qui s’interrogent sur le temps que met la révolution syrienne à l’emporter, je veux dire ceci : quoi que vous en pensiez, notre révolution n’a pris aucun retard. Elle a gagné le jour où elle a commencé, c’est-à-dire le jour où les Syriens sont sortis de chez eux pour manifester. Si sa conclusion se fait attendre, c’est parce qu’il s’agit d’une véritable révolution. Elle modifiera tous les repères politiques, non seulement pour la Syrie mais pour le monde entier.

Le sang qui coule en Syrie, à l’effusion duquel nous espérons un terme aussi rapproché que possible, n’est pas dépourvu de signification politique : il embellit les traits de la fiancée de la liberté et de la démocratie. Car la liberté est une porte qui ne s’ouvre que frappée par des mains ensanglantées.

Nora al-Amir

source : http://syrie.blog.lemonde.fr/2014/04/06/paroles-de-syriens-pour-le-3eme-anniversaire-de-la-revolution-en-syrie-9/
date : 06/04/2014