Portraits de Syriens: « Il est logique de s’élever contre toute forme de tyrannie » – par Hala Kodmani

Article  •  Publié sur Souria Houria le 5 novembre 2013

Raqqa - "Pauvre pays, transformé en galette de pain dont chacun arrache des miettes." M. Abdelaziz

La militante Souad Naufal, 44 ans, est devenue célèbre à Raqqa et au-delà pour son sit-in solitaire et quotidien devant le siège des extrémistes.

Raqqa, grande ville du nord de la Syrie, est administrée depuis le mois de mars par la rébellion. Notre envoyée spéciale a rencontré quelques-uns de ses habitants qui témoignent sur leur vie quotidienne à l’heure du pouvoir djihadiste. Pendant une semaine, L’Express vous livre ces tranches de vie. Aujourd’hui, une militante.

Sa dernière sortie, elle le savait, serait la goutte qui ferait déborder la patience des extrémistes. « Pardonnez-moi » avait-elle laissé dans un mot à sa famille, le 26 septembre dernier, avant de partir de la maison avec son écriteau : « Etat du mal! Les églises sont des lieux d’adoration de Dieu Tout puissant! ».

 

 

Au lendemain de l’attaque de la principale église de Raqqa par les hommes de l’Etat islamique d’Irak et du Levant, affiliés à Al-Qaida, Souad Naufal est descendue pour sa manifestation solitaire quotidienne en pensant que ce serait peut-être la dernière. Tous les après-midi, depuis l’enlèvement du père jésuite italien Paolo Dall’Oglio à Raqqa, en juin dernier, et de plusieurs activistes syriens, l’enseignante célibataire de 44 ans allait protester devant le siège du Daech, l’acronyme arabe du groupe extrémiste. En jeans et tunique, foulard autour de la tête et visage fermé, elle brandit sa pancarte avec le défi du jour : « Si vous êtes des hommes, dévoilez-vous la face ! » écrit-elle à l’adresse des hommes aux cagoules noires.

 

 

« Je ne suis qu’une femme simple, d’un milieu modeste et conservateur de Raqqa, dit Souad à ceux qui saluent son héroïsme. J’ai ouvert les yeux et me suis élevé contre l’oppression du régime, comme les autres gens de ma ville, au début de la révolution, » raconte la militante de la première heure, co-fondatrice du groupe des Femmes libres de Raqqa. Mobilisée contre la tyrannie des Assad, elle avait participé aux manifestations contre le régime et à l’action bénévole afin de secourir les blessés de la répression. « Il est logique, dès lors, de rejeter toute forme d’autre tyrannie, y compris celle qui veut s’exercer au nom de l’Islam, dit la musulmane pratiquante. Je suis d’ailleurs convaincue de la complicité entre le régime et les djihadistes contre nos libertés. »

« Je m’étais habituée à essuyer les insultes et les menaces des hommes du Daech, mais je tenais bon et continuais de manifester devant eux grâce aux encouragements des autres passants et de quelques femmes qui se joignaient à moi », dit Souad, aujourd’hui déprimée. Car depuis l’agression dont elle a été victime lors de l’affaire de l’Eglise, elle n’a pas recouvré la force de confronter les extrémistes. Ces derniers ont déchiré sa pancarte ce jour-là, l’ont encerclée, molestée et menacée de mort si elle revenait. Elle n’est pas retournée devant le siège du Daech.  » Pas encore, » affirme-t-elle.
source : http://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/portraits-de-syriens-il-est-logique-de-s-elever-contre-toute-forme-de-tyrannie_1291901.html

date : 22/10/2013