« Pour l’armée syrienne, les soignants sont une cible prioritaire » – Par Annie Demontfaucon
14 Avril 2012
Syrie. De retour de la région d’Idleb au nord du pays où les combats ont repris hier, le Dr Peillon, médecin urgentiste, parti en mission pour une ONG, témoigne de l’impossibilité pour les soignants de porter secours aux blessés.
Entrée clandestine par la frontière turque
« Avec le Dr Jacques Bérès, chirurgien et médecin humanitaire, nous sommes partis en Syrie dans le nord du pays, en mission pour une grosse ONG dont on préfère taire le nom. Nous avons dû être exfiltrés rapidement la semaine dernière alors que notre retour était prévu aujourd’hui (NDLR : vendredi 13). Il devenait trop risqué de rester sur place. On se mettait en danger, on mettait en danger nos accompagnants pour un rapport bénéfice/risque trop défavorable. A l’aller et au retour, nous sommes passés par la frontière turque. J’ai fait plusieurs fois équipe avec le Dr Bérès qui est allé à Homs et qui souhaitait y retourner. Toute entrée en Syrie est interdite. Pendant les dix jours où nous étions sur place, nous n’avons vu ni médecin étranger, ni ONG, ni journaliste. Les gens de la région d’Idleb se sentent oubliés. Par notre présence, on leur apporte des soins mais aussi une reconnaissance de leurs difficultés et surtout notre engagement à témoigner ».
Des déplacements à hauts risques
« Une voiture ou une moto nous précédait. Avec nous dans le véhicule, le conducteur et deux hommes armés. Nous avons été guidés et protégés par une filière syrienne opposante. Les mesures de sécurité étaient extrêmes. On devait changer de véhicule tous les 5 kilomètres et ne jamais utiliser de téléphone portable pour éviter d’être repérés ».
Des médecins tués
« Nous avons constaté que le pouvoir syrien vise prioritairement les combattants opposants autant que les soignants et les structures de soins. Là-bas, c’est aussi dangereux de se promener avec une arme que d’être pris en train de soigner. Plus personne n’accepte de monter des structures de soins. Les Syriens sont terrorisés par les risques encourus s’ils prennent en charge des blessés par armes. C’est dramatique. Pendant notre séjour, deux médecins ont été exécutés. La plupart de ceux qui étaient soupçonnés de soins aux insurgés, ont été emprisonnés, l’un d’eux torturé à l’électricité. Leur famille a dû être exfiltrée. On s’est heurtés à d’énormes problèmes pour opérer. On installait une table de fortune et on nous disait : « C’est trop dangereux, partez ! » Dans un village qui a été encerclé par l’armée puis bombardé, on a dû partir en catastrophe.
C’était impossible d’installer une structure chirurgicale durable même dans une habitation. Notre mission nous a permis d’analyser la situation et à l’ONG d’adapter son action. Les opposants ont du matériel, des médicaments mais ils ne peuvent s’en servir. Aucune autre équipe n’a pris le relais après notre départ ».