« Quand Obama cherchait discrètement à ne pas accabler Assad »- par Charlotte Boitiaux
Selon un article publié mardi par le Washington Post, le président Obama ferait discrètement pression sur le Congrès pour enterrer un projet de loi, pourtant porté par son propre camp, pour imposer de nouvelles sanctions au régime syrien.
Il fut un temps où le président américain Barack Obama parlait d’une « ligne rouge » à ne pas franchirlorsqu’il évoquait les crimes commis par le régime de Bachar al-Assad contre ses propres concitoyens. Trois ans plus tard, malgré l’accumulation de preuves « solides » mettant en cause le gouvernement syrien dans des « crimes de guerre », notamment à l’arme chimique, les États-Unis ne semblent toujours pas prêts à intervenir.
Ils en sont même de plus en plus loin. Selon un article du Washington Post, publié mardi 20 septembre, l’administration Obama chercherait plutôt à ménager le dictateur de Damas, mais aussi ses protecteurs russes et iraniens… Le papier plutôt embarrassant pour la Maison Blanche dévoile que Barack Obama ferait actuellement pression sur la Chambre des représentants pour enterrer un récent projet de loi – pourtant porté par son propre camp démocrate –, pour imposer de nouvelles sanctions au régime d’Assad.
« Des bâtons dans les roues »
Appelé « César », le projet de loi porte symboliquement le nom de code d’un photographe de la police militaire syrienne qui avait fait défection en 2013 en emportant avec lui des milliers de photos de cadavres d’opposants. Si elle passait, « la loi César » inciterait le président américain à sanctionner toute entité faisant affaire avec le gouvernement syrien, avec son armée, ou avec son service de renseignement, « ce qui inclut la Russie ou l’Iran », précise le journal. « César » encouragerait aussi toutes les investigations qui pourraient amener le clan Assad devant la justice pour répondre de « crimes de guerre« .
Le veto officieux de la Maison Blanche passe d’autant plus mal que le projet de loi faisait, chose rare, consensus au sein de la Chambre des représentants. « Je suis consterné que l’administration Obama mette des bâtons dans les roues de notre effort bipartisan pour couper les ressources d’Assad – ressources utilisées pour anéantir son propre peuple », a violemment réagi Ed Royce, un député républicain et co-auteur du projet de loi.
« Après sa gestion désastreuse du dossier syrien, le président Obama […] fait pression sur la chambre des représentants pour enterrer un projet de loi qui visait à rectifier toutes ses erreurs [politiques] », a ajouté Ashlee Strong, le porte-parole de Paul Ryan, le président républicain de la chambre des représentants. « Nous espérons que la Chambre aura bientôt l’occasion de voter cette importante mesure législative ».
Ne pas compliquer le processus de paix
Selon plusieurs sources anonymes internes au Congrès citées par le Washington Post, Obama ne chercherait pas à protéger le chef de l’État syrien mais à éviter de compliquer le difficile processus de paix en Syrie. « Ce n’est pas le bon moment », auraient ainsi expliqué l’un des conseillers chargés des affaires législatives à la Maison Blanche à un membre du Congrès. Un tel projet de loi pourrait en effet avoir un impact très négatif sur les discussions menées par le secrétaire d’État John Kerry avec Moscou. Les relations entre Américains et Russes, s’accusant mutuellement d’avoir fait voler en éclat l’énième trêve imposée le 9 septembre dans le pays, sont à couteaux tirés.
Eliot Engel, le représentant démocrate de New York, et surtout l’un des deux instigateurs de la « loi César », a justifié la volte-face démocrate sur ce projet de loi dans les mêmes termes : « À la fin de la semaine dernière, la trêve venait de commencer. Il aurait été irresponsable pour la Chambre de représentants de procéder à l’examen de la loi César, de faire comme si de rien n’était, a-t-il expliqué. Les choses peuvent changer rapidement, si c’est le cas, nous agirons rapidement, je travaillerai jour et nuit pour faire passer la loi ».
« Il n’y a plus d’excuses »
Il n’y a pas que dans son propre pays que le président Obama est critiqué pour la frilosité de sa politique syrienne. Mardi, lors de l’assemblée générale des Nations unies à New York, le chef de l’État français avait déjà fait une allusion à l’enlisement dramatique du conflit. « Il y a un moment pour toute génération, pour tout responsable public, où il n’y a qu’une seule question qui vaille : est-ce que nous avons pris les décisions ? Il faut que le monde soit au rendez-vous des enjeux de la planète », a-t-il déclaré. « Cette tragédie syrienne sera devant l’Histoire une honte pour la communauté internationale ».
Obama, lui, a survolé le sujet à la tribune. Et s’est borné à dire qu’il fallait persévérer dans « le difficile travail de la diplomatie ». Un comportement jugé sévèrement par le Washington Post. « Que les démocrates ne veuillent pas interférer dans le cessez-le-feu est compréhensible, écrit le journal. Mais cette semaine, la trêve a volé en éclat et Assad a repris ses bombardements à l’aveugle sur les civils d’Alep. Il n’y a plus d’excuses. »