Que mijote le régime syrien contre une église de Damas ? par Ignace Leverrier
Le site All4Syria affirme ce jour que « le régime syrien a l’intention de commettre prochainement un massacre dans la capitale« . Selon une source au sein du pouvoir en place, il projette en effet de bombarder un lieu de culte chrétien, qui pourrait être l’église orthodoxe du quartier de Qassaa, à la veille de la rencontre de Moscou dont l’ouverture est prévue le 26 janvier courant. Qui pourrait soupçonner « le régime protecteur des minorités » d’une telle abomination ?
En imputant cette agression à une unité de l’Armée syrienne libre ou à une organisation armée « hostile aux chrétiens », le régime de Bachar al-Assad escompte frapper les opinions publiques au moment où les attentions seront focalisées sur Moscou, sur la situation dramatique de la Syrie et sur la nécessité d’établir un dialogue entre Syriens. Il espère aussi renforcer la décision des Russes, en compétition avec les Grecs pour la protection des Eglises orthodoxes d’Orient, de rester mobilisés à son côté quels que soient ses crimes et quoi qu’il leur en coute.
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Pour écarter d’emblée les doutes de ceux qui, méconnaissant les capacités de manipulation et de nuisance des services de renseignements syriens, jugeraient farfelue la mise en cause du régime dans une opération aussi machiavélique, on se contentera de rappeler le précédent le plus récent de ce genre d’agissement.
Le 9 août 2012, les services de renseignements libanais arrêtaient à son domicile l’ancien ministre libanais de l’Information, Michel Samaha. Ils avaient découvert que l’intéressé, recruté par Bouthayna Chaaban, conseillère de Bachar al-Assad, pour faire bénéficier son équipe de son expertise médiatique et de sa connaissance des milieux politiques et sécuritaires français, avait transporté, de Damas à Beyrouth, des explosifs cachés dans sa voiture.
Au cours de son interrogatoire, Michel Samaha a reconnu que les explosifs lui avaient été remis par un collaborateur du général Ali Mamlouk, chef du Bureau syrien de la Sécurité nationale. Ils étaient destinés à des attentats contre des personnalités religieuses et politiques libanaises. Parmi elles figurait le patriarche maronite Bichara Raï. Les responsables syriens entendaient bien que, du fait de sa proximité avec le régime, son assassinat soit attribué à des anti-syriens, et, en premier lieu bien entendu, à des groupes islamiques radicaux…
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Les responsables syriens auront d’autant moins de mal à attribuer l’opération qu’ils envisagent à un groupe « rebelle » que, de façon pour eux opportune, le chef de l’Armée de l’Islam, Zahran Allouch, a explicitement demandé aux « musulmans » damascènes, le 23 janvier, de ne pas quitter leurs domiciles. Il leur a conseillé de ne pas circuler dans les rues de la capitale, à compter du dimanche 25 janvier dans l’après-midi, menaçant de faire « quotidiennement pleuvoir sur elle des centaines d’obus aussi longtemps que les forces gouvernementales continueront de bombarder les villes et les villages de la Ghouta orientale ».
Le régime a immédiatement saisi la perche que le leader islamiste lui tendait. Pour montrer qu’il accordait du crédit à ses propos, il a annoncé par la voix d’un officier de la Garde Républicaine, que, « si les terroristes mettent à exécution leurs menaces destinées à perturber la tranquillité de la vie à Damas » (sic), ils doivent savoir que pour « tout obus tombé sur la capitale, dix bombes seront largués sur Douma », ville natale de Zahran Allouch.
Opposants et activistes se sont montrés plus suspicieux. Ils admettent que cette escalade verbale répondait à l’intensification des attaques de l’armée contre les villes tenues par la rébellion autour de la capitale, et à l’utilisation contre certaines d’entre elles de produits asphyxiants et d’autres armes prohibées. Mais ils n’ont pu s’empêcher de se demander pourquoi l’Armée de l’Islam, s’il était vrai qu’elle détenait une telle quantité d’obus, ne les avait pas utilisés plus tôt pour attaquer des positions de l’armée régulière. Ils se sont inquiétés d’une initiative qui risquait de se retourner contre les habitants des localités que Zahran Allouch entendait protéger, puisqu’il ne disposait pas des missiles sol-air seuls à même de stopper les représailles aériennes. Ils se sont étonnés qu’en révélant ses intentions deux jours à l’avance, le chef de l’Armée de l’Islam ait permis aux responsables syriens de prendre des mesures et ait délibérément perdu l’effet de surprise de sa campagne de bombardement.
Il ne s’agissait peut-être, finalement, que d’un subterfuge et d’une diversion. A l’aube de ce samedi, l’Armée de l’Islam a en effet lancé une attaque de grande ampleur contre des positions du régime à l’extrémité de la Ghouta orientale, où elle n’était pas attendue.
Ne reste donc que la menace rapportée par la source de All4Syria contre « une église de Damas »…
date : 24/01/2015