Questions 12/01/2012 à 16h17 Syrie : le décès du journaliste Gilles Jacquier en trois questions – par Nolwenn Le Blevennec

Article  •  Publié sur Souria Houria le 13 janvier 2012

Gilles Jacquier, grand reporter de France 2, a été tué mercredi à Homs, dans le centre de la Syrie. Il a été victime d’un tir d’obus ou de roquette, alors qu’il effectuait une sortie avec un groupe de journalistes.

Des Syriens ont également été tués. Un photographe néerlandais, Steven Wassenaar, a été blessé aux yeux. Au total, l’attaque a fait huit morts et 25 blessés, selon la télévision syrienne Addounia.

Le journaliste français, âgé de 43 ans, était accompagné d’un caméraman, Christophe Kenck, qui a été légèrement blessé. Tous deux étaient partis dotés d’un visa officiel des autorités du pays pour le magazine « Envoyé spécial ». Sa compagne, photographe de presse, était également sur les lieux.

Quel type de journaliste était Gilles Jacquier ?

 

A France Télévisions, les confrères de Gilles Jacquier sont effondrés, ils décrivent un journaliste « passionné », mais qui connaissait bien les limites à ne pas dépasser.

Kosovo, Zaïre, Algérie, Afghanistan, révolutions arabes : Gilles Jacquier, journaliste reporter d’images (JRI), a couvert de nombreux des conflits des vingt dernières années. Il avait commencé sa carrière à France 3 Lille en 1991 puis était passé à la rédaction nationale, avant de rejoindre France 2 et particulièrement le magazine « Envoyé spécial ».

Il a reçu en 2003, avec le journaliste Bertrand Coq, le prix Albert-Londres audiovisuel pour un reportage sur la deuxième intifada et l’opération Rempart menée par l’armée israélienne. En 2009, il avait également obtenu le Grand prix Jean-Louis Calderon du Festival du scoop et du journalisme d’Angers pour son reportage « Afghanistan : école, le tableau noir ».

Dans une vieille interview sur le site de France 2, le journaliste évoque ses motivations :

« Moi, j’aime surtout filmer les gens au plus près de l’action, avec leurs émotions et sans voyeurisme. Sur les terrains difficiles, il n’y a pas que de la tension, il faut aussi du courage pour aller chercher les images, se trouver au bon endroit, au bon moment, sans prendre trop de risques. Il y a aussi la chance qui intervient. »

Que s’est-il passé à Homs ?

Interrogé par le Figaro, Mohammed Ballout, envoyé spécial de la BBC en arabe, présent à Homs, raconte le déroulé des évènements :

« Nous étions deux délégations de journalistes étrangers présents ce mercredi après-midi à Homs. La première, escortée par le ministère de l’Information syrien […]. La seconde délégation était escortée par une religieuse libanaise et comptait dans ses rangs Gilles Jacquier […].

Devant l’hôpital de Zahira, un attroupement s’est formé de militants pro-Assad qui ont commencé à scander des slogans favorables au régime. Soudain, une roquette RPG a frappé la foule. […] Les journalistes du groupe de Jacquier sont accourus pour voir ce qui se passait. A ce moment-là, un deuxième RPG a été tiré dans leur direction. Gilles Jacquier est mort sur le coup. »

Un journaliste de l’AFP, Joseph Eid, décrit aussi la scène, dans un article du Parisien :

« Un premier obus est tombé sur un immeuble, alors que nous étions en train d’interviewer des manifestants pro-Assad qui nous ont suivis vers cet immeuble. Nous sommes montés sur le toit. Entre-temps un second obus est tombé sur l’immeuble et en redescendant, j’ai vu des morts à terre et j’ai commencé à les photographier. Les autres journalistes sont descendus pour voir ce qui ce passait et ceux qui sortaient de l’immeuble ont reçu de plein fouet le troisième obus. »

Dans cet extrait du journal de France 2, Christophe Kenck, le caméraman qui accompagnait Gilles Jacquier, revient sur l’attaque.

Etait-ce un piège ?

 

Sur Europe 1, Jacques Duplessy, journaliste indépendant présent à Homs, fait part de ses doutes :

« Nous étions à Homs dans le cadre d’un voyage autorisé par le gouvernement syrien, on nous avait promis une liberté de mouvement totale […]. Les journalistes étaient donc localisés et se déplaçaient en plein centre-ville, ce qui aurait normalement dû permettre de réduire au maximum les risques […].

Ce n’est pas du tout le fait du hasard, parce qu’après ces quatre obus, il n’y a eu plus rien, c’était terminé : pas d’attaque, pas de tir. »

Autre élément qui reste à éclaircir, selon lui : la grande réactivité des médias syriens, qui se sont rapidement rendus sur place avec plusieurs caméras. Les médias syriens ayant accusé dans la foulée l’opposition d’être responsable de cette attaque, sans apporter la moindre preuve.

Mediapart cite des opposants, contactés à Homs, qui évoquent « une provocation des forces syriennes ». L’attaque a eu lieu dans un quartier loyaliste, contrôlé par les milices pro-Assad. Le site rappelle qu’un observateur algérien, membre de la mission d’observation de la Ligue arabe en Syrie, avait démissionné et laissé entendre que le régime était « prêt à tuer un étranger pour valider sa thèse de présence de groupes armés ».

« Il enquêtait sur la famille Assad »

Dans une interview au Figaro, Martine Laroche-Joubert, grand reporter à France 2, témoigne :

« En Syrie, Gilles voulait monter un sujet sur la famille Assad, sur le fonctionnement du clan et analyser sa communication. Il n’était pas parti pour couvrir les manifestations. Les partisans de Bachar El-Assad, comme les opposants, n’avaient donc aucun intérêt à le faire disparaître. S’il y a eu bavure, on finira par le savoir. »

L’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), basé en Grande-Bretagne, et l’Union européenne ont demandé l’ouverture d’une enquête pour déterminer l’origine des tirs. Dans un communiqué, ce jeudi matin, Alain Juppé a demandé qu’une « enquête soit menée afin que toute la lumière soit faite sur les circonstances » de sa mort.

Thierry Thuillier, le directeur de l’info de France Télévisions, tempère :

« Imaginer une manipulation me paraît, à ce stade-là, vraiment prématuré. »

source: http://www.rue89.com/2012/01/12/syrie-le-deces-du-journaliste-gilles-jacquier-en-trois-questions-228314