Réfugiés syriens au Liban : « Si j’avais su que ce serait si dur… » – Marie Kostrz |
Une fillette dans la maison de réfugiés syriens, à Wadi Khaled, Liban (Marie Kostrz/Rue89)
(De Wadi Khaled, Liban) Dans une cour parsemée d’arbres fruitiers, deux maisons, balayées par les vents, se blottissent l’une contre l’autre. La première, colorée, est la propriété d’un jeune couple d’agriculteurs libanais. L’autre, inachevée et grise, lui appartient aussi mais abrite une famille syrienne.
Ils sont deux adultes et cinq enfants plein de vie. Sept réfugiés originaires de Homs pour qui ce toit, bien que modeste, est une bénédiction. « Les Libanais nous ont ouvert leurs portes, heureusement », raconte Issam – tous les prénoms ont été changés –, le père de famille.
L’association libanaise Akkarouna, active sur le terrain, estime que 20 000 réfugiés ont afflué dans la région frontalière de Wadi Khaled, au nord du pays, depuis le début de la révolution en mars 2011. Ils sont au moins 45 000 dans tout le Akkar, district du Liban auquel elle appartient.
Les enfants terrorisés par les tirs
Issam n’a lui « pas peur de la mort ». C’est pour ses enfants qu’il a décidé, avec sa femme Ahlem, de rejoindre Wadi Khaled :
« Un de nos fils s’est ouvert la tête en jouant. A l’hôpital, on nous a interrogés et accusés d’avoir participé à une manifestation. »
S’il sortait bien crier sa soif de liberté dans la rue, il n’emmenait pourtant pas ses enfants, trop petits.
Rester devenait donc trop dangereux : en cas de blessure ou de bombardement, il était impossible de se rendre dans un quartier même proche de celui où ils habitaient.
Les enfants, terrorisés par les tirs et les explosions incessantes, passaient leur temps enroulés dans des tapis à hurler. Un des frères d’Ahlem a été tué.
Pas question d’aller ailleurs
Du massacre de Karm el-Zeitoun, quartier de Homs, au rasage de celui de Baba Amr, la population de la ville, très active dans la révolution, a payé cher son engagement.
Les victimes syriennes se compteraient désormais en dizaines de milliers mais aucune source indépendante ne communique de chiffres.
Quand est venue l’heure de fuir les combats, il n’a pas été question pour Issam et Ahlem d’aller ailleurs qu’à Wadi Khaled, où des membres libanais de leur famille élargie proposaient de les accueillir.
Cette portion du Akkar comprend une vingtaine de villages qui s’étendent le long de la frontière avec la Syrie. De part et d’autre de cette ligne de démarcation, invisible à travers les collines rocailleuses, les liens de parenté entre Syriens et Libanais sont très forts.
« Les Syriens sont nos frères »
Avant la création du Liban et de la Syrie au début des années 20, les populations vivaient ensemble au sein du Bilad el-Cham, qui réunissait en plus le territoire de la Palestine et de la Jordanie.
A moins d’un kilomètre de là, après quelques champs d’oliviers et un dernier village libanais se trouve la Syrie. A gauche, Al-Houla, puis Al-Qousseir et Homsun peu plus vers la droite. Pour Omar, qui avec sa femme Rada accueille Issam et Ahlem, héberger des membres de sa famille a été naturel :
« Ici, nous sommes plus tournés vers la Syrie que vers le Liban. Quand nous allons faire des courses, on va à Homs qui est à 25 km plutôt qu’à Tripoli qui est à une heure et demi. On est des mêmes tribus, des mêmes familles, les Syriens sont nos frères. »
Ici, contrairement à Beyrouth ou même Tripoli, la plupart des familles sont logées chez des proches. Le beau-frère de Omar héberge lui six familles.
« La Syrie a bombardé Wadi Khaled »
Au loin, des bruits sourds retentissent du matin jusqu’au soir. Les bombardements qui détruisent la Syrie à quelques kimomètres de là rythment jour après jour le quotidien de la famille. Si avec son mari elle est à l’aise parmi les Libanais, Ahlem ne se sent pas en sécurité à Wadi Khaled :
« Il y a un mois, la Syrie a bombardé Wadi Khaled, des Libanais qui n’habitent pas loin sont morts. Ici ou là-bas, c’est pareil. »
Hormis le check-point à l’entrée de la vallée de Wadi Khaled, l’armée libanaise est inexistante dans la zone.
Au fil des mois, la fuite vers le Liban de ses invités s’est transformée en un exil immuable. Issam et Ahlem ne savent plus exactement depuis combien de temps ils ont traversé la frontière. « Un peu moins d’un an, huit mois environ », estiment-ils.
Etre au chômage et accueillir des proches
Le temps s’écoule et les Syriens qui s’établissent à Wadi Khaled sont toujours plus nombreux. Si l’accueil qui leur est réservé est toujours emprunt d’hospitalité, la situation devient critique dans ce qui est l’un des districts les plus pauvres du pays. Omar explique :
« La population tire habituellement ses revenus du commerce avec la Syrie, mais celui-ci a été complètement stoppé depuis la révolution. A Wadi Khaled, tout le monde s’est retrouvé au chômage tout en accueillant au même moment des proches. »
Une bombe à retardement, selon Kazem el-Kheir, député libanais du Akkar membre du Courant du futur engagé auprès des réfugiés syriens :
« Le gouvernement fait le minimum pour les réfugiés, tout repose sur l’entraide familiale. Nous craignons que tôt ou tard, cela crée des tensions entre Libanais et Syriens. Il y en a déjà à Wadi Khaled ou à Tripoli. »
« Le côté humain prime avant tout »
Jusqu’à présent, l’animosité a épargné Issam et Ahlem. Dans la petite cour humide qui s’ouvre sur les deux pièces de la maisonnette, les enfants chahutent bruyamment, accompagnés de ceux des voisins libanais.
Au milieu d’eux, Ahlem prépare le repas du soir avec des ustensiles de cuisine prêtés par Rada. Pour compléter l’aide alimentaire des associations présentes à Wadi Khaled, Omar et Rada leur donnent en plus de temps en temps des fruits de leurs vergers et quelques aliments.
Même si la situation commence à être dure d’un point de vue économique, ils insistent pour que « le côté humain prime avant tout ».
Le prinicipal problème est ailleurs : c’est la santé. Dans la pièce qui fait office de salon et de chambre à coucher sont disposés sur le sol cimenté quatre matelas. Sous une moustiquaire colorée, suspendue dans un coin, dort Rahim, 1 an et demi.
Pression de Damas sur le Liban
Fragilisé par de l’asthme, il inquiète son père qui déplore que les médicaments manquent cruellement à Wadi Khaled. L’Organisation médicale islamique reçoit les réfugiés mais ne dispose d’aucun médicament. La crise sanitaire guette, redoutent les associations.
Issam lui-même aurait besoin d’être opéré à l’estomac mais l’intervention a été annulée après que le gouvernement libanais a décidé de suspendre les aides médicales aux réfugiés syriens installés dans le nord du Liban.
Mi-juillet, Najib Mikati, Premier ministre porté au pouvoir en partie par le Hezbollah pro-syrien, expliquait que « beaucoup de Syriens venaient au Liban pour des soins, en prétendant qu’ils sont réfugiés » mais que ce n’était « pas vrai ».
La preuve pour Issam que l’aide aux réfugiés est bloquée pour des raisons avant tout politiques :
« Le régime syrien fait pression sur le Liban pour qu’ils n’aident pas les réfugiés. »
L’impression de « perdre leur temps »
Les organisations humanitaires libanaises et internationales présentes sur place tentent de palier au désengagement de l’Etat libanais.
Issam et Ahleim s’estiment chanceux, malgré tout :
« Des amis viennent prendre des douches ici car eux n’en ont pas chez eux. D’autres changent de logement toutes les semaines. Imaginez la vie de ceux qui n’ont pas de proche ici. »
Elle regrette d’avoir fui au Liban :
« Si j’avais su que ce serait si dur, je ne serais jamais partie. »
Vu les conditions de vie et l’insécurité, le couple envisage de rentrer à Homs après la fin du ramadan. Tout le monde les en dissuade, mais à Wadi Khaled, ils ont l’impression de « perdre leur temps ». Ils n’ont pas encore pris leur décision.
source: http://www.rue89.com/2012/08/07/refugies-syriens-au-liban-si-javais-su-que-ce-serait-si-dur-234443