Régime, rebelles, processus de transition… quelles conséquences en Syrie ? Par Luc Mathieu et Hala Kodmani
Si elles restent sans suite, les frappes contre le régime ne changeront rien au rapport de force militaire. En revanche, le sort de Bachar al-Assad est à nouveau posé, redonnant de l’espoir à l’opposition.
Une opposition politique ravie, des groupes rebelles satisfaits, des formations jihadistes silencieuses, et un régime furieux. Aucune des forces impliquées dans la guerre en Syrie n’avait anticipé les frappes lancées par le président américain Donald Trump, dans la nuit de jeudi à vendredi, contre le site d’Al-Shayrat.
Quelles conséquences sur le régime de Bachar al-Assad ?
Informés de l’imminence de l’attaque américaine par Moscou, les principaux responsables du régime syrien auraient évacué leur famille vers le Liban dans la nuit de jeudi à vendredi. Cette rumeur qui circule à Damas reflète la secousse dans le camp de Bachar al-Assad, qui avait pu se rassurer sur son sort depuis quelques mois. Le dictateur syrien en était même venu à envisager, dans une récente interview, un rapprochement avec l’administration Trump, mobilisée exclusivement contre les jihadistes de l’Etat islamique. Mais après la «frappe stupide, irresponsable et de courte vue», selon le communiqué de la présidence syrienne, les médias officiels syriens ont dénoncé une complicité américaine avec Daech. Affirmant sa détermination à poursuivre sa guerre contre le terrorisme et «ses complices», le régime de Damas s’emploie à minimiser la portée militaire et politique de la frappe. Sur les réseaux sociaux, des comptes non officiels de militaires syriens dénoncent le mensonge du régime sur le nombre de victimes (sept soldats officiellement) et les pertes de l’aviation. Il y aurait plus de 40 morts, selon eux, et des dégâts bien plus importants que déclarés.
Le souci d’afficher la force et l’unité du pays autour de lui était perceptible dans le discours du régime, qui craint les défections dans ses rangs. «Les prêches de la prière de ce vendredi à Damas ont condamné l’agression américaine», affirme l’agence de presse officielle Sana. Rapportant systématiquement les déclarations et les initiatives de Moscou contre la frappe américaine, les médias du régime cherchaient vendredi à couper court à l’hypothèse qui circule à Damas d’un affaiblissement de l’allié russe.
Quelle opposition syrienne pour une transition politique ?
Le chef du Haut Comité des négociations (HCN) de l’opposition syrienne et ancien Premier ministre de Bachar al-Assad, Riad Hijab était à Washington au moment des frappes américaines, invité pour une conférence prévue de longue date. Il était sorti désespéré, une semaine plus tôt, de la dernière session de négociations stériles à Genève. L’absence totale d’intérêt des Etats-Unis pour la solution politique en Syrie, voire leur position encourageante vis-à-vis de Bachar al-Assad, dont le départ n’était plus envisagé, abandonnait l’opposition dans un rapport de forces très largement favorable au régime et ses alliés. «Signifier qu’il y a des limites à l’impunité du régime et à l’unilatéralisme russe en Syrie est un grand pas positif», affirme Mohamad Hajjo, un porte-parole de la Coalition nationale syrienne à Istanbul. «Il reste à intégrer ce coup de pression militaire dans une stratégie politique pour la suite.» Remettre la transition politique à l’ordre du jour est la priorité de l’opposition, qui espère maintenant une véritable pression de Washington en ce sens, si possible en s’entendant avec Moscou. Le HCN se dit prêt. Des personnalités représentatives auraient été choisies pour faire partie de l’instance de transition (prévue par la résolution 2 254 du Conseil de sécurité de l’ONU), qui comprendrait des membres du régime «n’ayant pas de sang sur les mains». Un rôle pour les groupes rebelles participant aux négociations de Genève serait établi en vue de missions de stabilisation et de sécurité sur le terrain pour qu’un gouvernement de transition soit possible. Le groupe de travail de l’ONU sur la Syrie devait se réunir vendredi dans la soirée à Genève.
Quel impact sur la situation militaire ?
Sauf à se poursuivre, ce qui semble exclu pour l’instant, les frappes américaines ne changent pas les rapports de force entre les groupes rebelles et l’armée syrienne. «On ne sait pas exactement combien d’avions ont été détruits, mais l’impact sur les capacités militaires du régime est minime. Nous ne sommes plus dans la situation d’avant l’intervention russe de septembre 2015 où il devait gérer une flotte ancienne et très utilisée. Il peut aujourd’hui compter sur Moscou», explique Thomas Pierret, maître de conférences à l’université d’Edimburg. Avec la reprise d’Alep-Est en décembre, le régime a repoussé la menace rebelle. Les groupes les plus modérés de l’Armée syrienne libre se concentrent aujourd’hui le long de la frontière turque. Depuis le début de l’année, ils ont reculé dans la province d’Idlib suite à des attaques de formations jihadistes. Les dernières offensives dans La Ghouta et à proximité de Hama ont été contrées par le régime et ses alliés. Vendredi, le régime promettait de «continuer à écraser les terroristes» et menaçait «d’intensifier son action».
Les frappes de vendredi ne devraient pas non plus avoir d’impact sur l’offensive américaine attendue contre l’Etat islamique dans son fief de Raqqa. La bataille devrait être menée par les Forces démocratiques syriennes, une alliance de combattants kurdes et arabes, soutenue par l’armée américaine et les avions de la coalition internationale. Les forces loyalistes ne bombardent que rarement l’EI, à l’exception de la zone de Palmyre, reprise deux fois aux jihadistes.
Rencontre entre Donald Trump et Xi Jinping, vendredi à Palm Beach (Floride).Photo Jim Watson. AFP