Rencontre du troisième type à Ankara – par Christophe Ayad
C’est une réunion inédite qui s’est tenue dans un hangar anonyme de la banlieue d’Ankara, le 6 novembre 2013. D’un côté de la table, les représentants des « onze » , les pays membres des Amis de la Syrie, principaux soutiens politiques de la rébellion syrienne. Il y a là des diplomates du Qatar, de l’Arabie saoudite, de la Turquie, mais aussi de la France, du Royaume-Uni et des Etats-Unis, souvent des ambassadeurs ou des directeurs de département. Ils sont accompagnés pour l’occasion de représentants des services de renseignement de leurs pays. En fait, les « onze » sont dix : « L’Egyptien n’est pas venu, confie un diplomate avec un léger dépit, c’est à se demander si l’Egypte est encore du côté de l’opposition en Syrie ou roule désormais pour le pouvoir. »
De l’autre côté de la table, douze hommes d’un tout autre genre : ils ne portent pas le costume cravate, arborent une longue barbe non taillée. Ce sont les chefs des douze principaux groupes rebelles syriens. « A l’exception du Front Al-Nosra et de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) » , précise toutefois le diplomate. Ces deux formations sont affiliées à Al-Qaida ou du moins proches de la nébuleuse terroriste. Mais les chefs des principaux groupes armés sont là : Ahrar Al-Cham, Liwa Al-Tawhid, Souqour Al-Cham, Jaish Al-Islam, etc. Ils pèsent plusieurs milliers d’hommes. La plupart ont déserté l’Armée syrienne libre (ASL), la branche armée de la Coalition nationale syrienne (CNS), tenue pour impuissante et trop proche de l’Occident.
« Faire connaissance »
Jamais ces hommes ne se sont rencontrés ainsi, quasi officiellement. Sept heures pour « faire connaissance » et « échanger les points de vue » . En préambule, chaque chef de guerre s’est présenté et a décliné une « profession de foi » dans laquelle il assurait être pour une Syrie démocratique et pluraliste. Un salafiste sunnite est allé jusqu’à s’engager à défendre les droits de ses frères « alaouites, chrétiens, druzes, juifs et même bouddhistes » , au grand dam de ses interlocuteurs.
Sept heures n’étaient pas de trop pour convaincre les groupes armés de ne pas torpiller les pourparlers de Genève 2, avant même la tenue de la conférence, annoncée pour le 22 janvier 2014. La rencontre d’Ankara, montée en toute discrétion à la demande des Occidentaux, a été organisée grâce à l’entregent des diplomates du Qatar et de la Turquie.
Jamais, en effet, n’a paru si grande la déconnexion entre le terrain militaire et l’arène diplomatique. Tandis que la CNS pèse les termes de ses communiqués au trébuchet, les combattants de ces groupes armés comptent les balles pour les économiser, attendent toujours des missiles antiaériens pour riposter à la chasse de Bachar Al-Assad et administrent les territoires qu’ils contrôlent à la pointe de la kalachnikov.
Forts de leurs martyrs et de leurs armes, les chefs militaires n’entendent pas avaliser un processus diplomatique dont l’aboutissement risque fort de les mettre sur la touche au profit d’un « gouvernement de transition » censé opérer un savant dosage entre opposants et membres du régime n’ayant pas de sang sur les mains. « Ils nous ont dit : l’ASL n’est rien, elle ne représente personne, la Coalition non plus. D’ailleurs, on va la renverser dans les quarante-huit heures!, rapporte un diplomate occidental. Nous leur avons fait remarquer que le régime de Bachar Al-Assad tenait le même discours, ça les a mis mal à l’aise. »
Finalement, les groupes armés ont décidé de laisser une chance à la Coalition, qui a créé un groupe de travail dans la foulée afin de maintenir un dialogue politique avec les rebelles non affiliés à l’ASL.
source : http://acturca.wordpress.com/2013/11/28/rencontre-du-troisieme-type-a-ankara/
date : 28/11/2013