Retour de Syrie. Témoignage du Dr Mazen Al Sawwaf – par Ignace Leverrier
En compagnie de plusieurs autres médecins, le Dr Mazen Al Sawwaf, s’est récemment rendu dans le nord de la Syrie contrôlée par des forces de la révolution. Il souhaitait exprimer son soutien à l’Armée Syrienne Libre et constater la nature et l’ampleur des besoins de la population. Son témoignage diffère considérablement de l’image que véhiculent un certain nombre de médias de la situation dans les zones échappant désormais à l’autorité du régime. En revanche, il recoupe celui d’autres Syriens et Syriennes, qui n’étaient pas tous opposés au régime mais qui, choqués par la répression, ont fini par se rallier à la révolution. Leur engagement passé au service de leur pays interdit qu’on prenne leurs compte-rendu à la légère.
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Le recours aux prises de guerre
Au cours de son périple qui l’a conduit dans plusieurs gouvernorats, le Dr Al Sawwaf a mené une enquête auprès des révolutionnaires qu’il soignait avec ses collègues. Il a ainsi appris que « le soutien qui provenait aux combattants du Conseil Militaire Conjoint se poursuivait, mais qu’il était insignifiant ». Du coup, ils avaient été « contraints, lors de l’attaque d’un aéroport et d’une école de fantassins, par exemple, d’interrompre leurs opérations faute de munition. Les parties qui leur fournissaient les armes exigeaient de savoir, avant de les réapprovisionner, où et comment celles-ci avaient été effectivement utilisées. Elles semblaient vouloir s’assurer que les révolutionnaires ne disposeraient plus, après la chute du régime, de quoi menacer Israël… »
Il avait constaté que « les révolutionnaires disposaient de matériels spécifiques, comme des armes anti-char de type M-29 et des missiles sol-air portables à l’épaule de type Eagle fabriqués en Corée du Sud. Ils faisaient partie du butin prélevé dans les stocks ou sur les positions de l’armée régulière qu’ils avaient conquises. C’est pour cette raison que, après la chute de l’aéroport de Taftanaz, le régime n’avait plus été en mesure de bombarder les révolutionnaires et que les raids aériens sur le nord du pays avaient nettement décru ».
Une information trompeuse
Selon le médecin, il est probable que « les régions encore soumises au régime, comme le village d’Al Fou’a, la base de Wadi al Dif, les aéroports de Menneg, d’Alep, de Tabqa et de Deïr al Zor, le village d’Al Mastoumeh ou le camp militaire installé dans la briqueterie d’Idlib, seront libérées au cours du mois de février. La zone sécurisée s’étendra alors du Jebel al Zawieh à Al Bou Kamal ».
Il avait observé que, « pour le moment, les révolutionnaires s’abstenaient d’entrer dans les villes, y compris à Idlib et à Raqqa, de manière à préserver la sécurité des civils. Ils concentraient leurs opérations sur les aéroports ».
Prenant le contre-pied de ce rapportaient les moyens d’information, le Dr Sawwaf a affirmé qu’il n’y avait « aucun danger véritable de développement de groupes detakfiris, de terroristes ou d’Al Qaïda. La majorité des vidéos diffusées à l’extérieur qui les concernaient étaient fabriquées par le régime pour terroriser les minorités et inquiéter l’extérieur ».
Pour ce qui le concernait, « le Front de Soutien à la Population du Pays de Chan ne regroupait pas plus de 5 % des combattants. Ils comptaient parmi les plus courageux et les plus disciplinés. Ils étaient prêts à aller soutenir leurs frères en Irak dès la chute du régime en Syrie. En revanche, entre 80 et 90 % des révolutionnaires avaient un métier ou une profession. Ils attendaient avec impatience de pouvoir déposer les armes pour retrouver leurs familles et s’atteler à la reconstruction. Les autres pourraient trouver place dans la nouvelle armée syrienne « .
Notre richesse, c’est notre peuple
Selon le médecin, « le moral des révolutionnaires à l’intérieur était très haut, à l’inverse de celui de la mafia au service de Bachar Al Assad… Des chabbiha d’Alep étaient rassemblés en grand nombre dans le village d’Al Fou’a, favorable au régime, de même que des centaines de combattants du Hizbollah et des membres des Gardiens de la Révolution iranienne. Il y a quelques jours, les habitants ont été avertis de faire partir les civils parce qu’ils étaient désormais à portée des révolutionnaires ».
Il poursuit en affirmant que « les révolutionnaires ne prêtent guère d’intérêt à la situation politique et à ses développements. Dans leur immense majorité, ils veulent un Etat civil démocratique, sincèrement dévoué et attentif aux conditions de vie du peuple. Les salafistes n’ont pas le poids qu’on leur prête. Pas plus que les Frères Musulmans, à l’intérieur de la Syrie. Bien que pour la plupart musulmans, les révolutionnaires reprochent aux dirigeants de cette Association leurs fautes répétées et leurs confits internes récurrents ».
Faisant le point sur les secours médicaux, le Dr Al Sawwaf a jugé qu’ils étaient « relativement convenables dans les régions libérées ». Mais « un problème majeur de soins persistait à Homs, dans la périphérie de Damas et dans les régions orientales ».
Il estimait en conclusion que, « parmi les médecins, les révolutionnaires et les simples citoyens, les types bien et les créateurs sont légion. Ainsi, les obus de mortier sont maintenant fabriqués à l’intérieur de la Syrie. D’ici peu, nous serons capables de nous reposer sur nous-mêmes dans ce domaine et nous règlerons nos difficultés par nos propres moyens. Notre véritable richesse, ce n’est ni le pétrole, ni le gaz, ni le phosphate, ni le blé, le coton ou l’huile d’olives. Elle réside dans notre peuple inventif et créateur, et dans les 17 millions de Syriens de l’extérieur. Ils aspirent en majorité à rentrer chez eux pour participer à la reconstruction du pays ».
source : http://syrie.blog.lemonde.fr/2013/02/08/retour-de-syrie-temoignage-du-dr-mazen-al-sawwaf/
date : 08/02/2013