Salam Kawakibi : « La base sociale de Daech en Syrie est très limitée »

Article  •  Publié sur Souria Houria le 5 décembre 2015
[L'entretien] Salam Kawakibi : « La base sociale de Daech en Syrie est très limitée »

[L’entretien] Salam Kawakibi : « La base sociale de Daech en Syrie est très limitée »

Pour le politologue Salam Kawakibi, le recours pur et simple à la force en Syrie ne résoudra rien. La terreur que fait régner Daech prend sa source ailleurs

Salam Kawakibi, politologue franco-syrien, est diplômé de l’IEP d’Aix-en-Provence. Il a également étudié durant plusieurs années à la Maison méditerranéenne des sciences de l’homme – Iremam à Aix, Damas, Alep (sa ville d’origine) et Beyrouth. Il est aujourd’hui directeur adjoint de l’institut Arab Reform Initiative basé à Paris. Salam Kawakibi devait intervenir lors des Rencontres d’Averroès à Marseille samedi 14 novembre. Une conférence annulée en raison des attentats commis à Paris la veille.  Nous avons interrogé Salam Kawakibi après ce nouvel acte terroriste commis en France.

Et d’abord une question sur les attentats. En tant que politologue, spécialiste du Moyen-Orient, êtes-vous surpris que la France soit désormais touchée par des attaques kamikazes sur son sol ?

Salam Kawakibi : Pas du tout surpris… Bien sûr, je n’irai pas jusqu’à prétendre que je les avais prévu, comme il est répandu en ce moment de l’affirmer chez certains observateurs. Cependant, il était évident que le pourrissement de la situation au Moyen-Orient en général, et en Syrie en particulier, qui s’ajoute à un manque de vision politique occidentale pour la résoudre, n’allait pas amener à une stabilité globale.

Est-ce que vous pensez que ce type d’attaques peut se multiplier ?

S. K. : Je le crains. En revanche, je préfère imaginer que les « têtes pensantes » en Occident vont s’activer pour trouver une solution globale et éviter le pire. Car, si les politiciens vont tomber dans le piège, oh combien attractif, du remède sécuritaire, cela apportera peut-être des voix aux prochaines élections, mais il n’offrira qu’une solution boiteuse, dans le meilleurs des cas.

Selon vous quel est l’état des forces de Daech aujourd’hui, notamment en Syrie ?

S. K. : Daech, si elle n’avance pas sur le terrain, au moins, ne recule pas et cela « grâce » aux frappes des alliés Occidentaux, des Russes et du pouvoir syrien. C’est cyniquement drôle de faire ce constat. Daech a renforcé son recrutement et fait régner la même terreur sur la population locale, qui ne fait pas partie des minorités, donc, elle n’intéresse guère. Les frappes aériennes semblent rater souvent leurs cibles par manque de compétences prétendus des Russes ou manque d’informations précises pour les autres, il est important de souligner que c’est un mouvement très mobile. Quand je lis dans les différentes déclarations que les frappes ont visé un camp d’entrainement et un bureau de ces terroristes dans la ville de Raqa par exemple, je traduis par : une école et une maison. Malheureusement, les informations qui nous proviennent du terrain, confirment souvent cette traduction. Finalement, j’insiste sur un fait : la base sociale de Daech en Syrie est très limitée. Ils règnent par la terreur et un peu par la cooptation. Une méthode bien connue dans cette région durant les décennies des dictateurs « sécuritocratiques ». 

Pour vous quels sont les moyens à mettre en place pour lutter efficacement contre Daech ?

S. K. : Il faut remédier à la cause de leur existence et voir de près qui a intérêt à ce qu’ils soient aussi forts, aussi dominants et presque insouciants face aux prétendus ennemis. Cette histoire remonte à l’invasion de l’Irak en 2003, à la gestion calamiteuse des Américains de l’après-Saddam. Ainsi, au gouvernement sectaire et corrompu à Bagdad, soutenu paradoxalement par les Etats Unis et l’Iran. Sans oublier le pouvoir syrien qui a trouvé son aubaine dans leur émergence et leur développement sans se priver d’y contribuer. Donc, la solution purement militaire, en l’occurrence seulement aérienne, ne changera rien ou presque. Pire, elle risque de mettre de donner de la force à leurs arguments déformés. A force de multiplier les dégâts dit collatéraux, nous risquons même de voir leur popularité se renforcer.

Le débat auquel vous deviez participer aux Rencontres d’Averroès a été annulé au lendemain des attentats. Regrettez-vous cette annulation ?

S. K. : Je regrette mais je comprends. Les Rencontres sont devenues un événement culturel important à Marseille et dans toute la région. Les terroristes haïssent la culture et il faut que nous soyons unis face à cette haine en renforçant notre action culturelle dans toutes ses dimensions.

Le thème de la table-ronde à laquelle vous deviez participer était « L’Europe s’intéresse-t-elle encore à la Méditerranée ? » Quelle est votre réponse à cette question ?

S. K.: Après l’échec de tous les projets concernant cette zone, il est important de constater que l’intérêt actuel est plutôt sécuritaire, alimenté par la crainte et la méfiance. S’ajoute à cela bien entendu quelques projets lucratifs. L’esprit méditerranéen des rencontres d’Averroès est le plus durable car il investit dans les échanges culturels et l’enrichissement mutuel dans ce domaine. Cependant, tant que les politiciens ne veulent pas se confronter aux vrais problèmes de la Méditerranée : occupation, pauvreté, dictateurs, entre autres, tout discours politique méditerranéen est vide de sens…

Qu’est-ce qui pourrait relancer un nouveau processus type Barcelone 2 ?

S. K. : Se mettre face à la réalité : occupation israélienne d’un territoire palestinien, des dictateurs soutenus par l’Occident, une corruption endémique renforcée par les partenaires du nord, volontairement ou involontairement, une contre-révolution en Egypte bénie par qui de droit (pays européens et Etats-Unis), etc. il faut relancer un processus avec des citoyens car les institutions ont échoué jusqu’à preuve du contraire.