Sherwan Haji : portrait de l’acteur syrien du dernier Kaurismäki
Ce jeune acteur et réalisateur kurde de Syrie a quitté son pays en 2010 pour une histoire d’amour et est devenu l’acteur principal de “L’autre côté de l’espoir” du génial Kaurismäki. Il nous parle du racisme, de ses désirs de cinéma et de ses liens avec la Syrie, dont il est parti un an avant la guerre.
Crédits Renaud Monfourny
Son chemin va bientôt croiser celui de Wikhström (Sakari Kuosmanen, l’un des acteurs fétiches de Kaurismäki, qui jouait notamment le rôle principal de L’Homme sans passé), un représentant en cravates qui a tout laisser tomber pour racheter un restaurant minable. Wikhström va lui donner un boulot, le cacher, et tenter de l’aider à faire venir sa soeur.
Khaled est joué par Sherwan Haji, qui est maintenant assis bien en face de moi, comme dans un plan du cinéaste finlandais. Nous nous trouvons dans le petit hôtel du faubourg Saint Antoine à Paris où il est descendu. Il est très vite décidé, en accord avec son interprète, Irmeli Debarle, que je poserai mes questions en français, qu’elle les traduira en finnois et que Sherwan me répondra en anglais. Soyons polyglottes ! C’est ainsi que petit à petit, sans aucune volonté ou de réticence de part ou d’autre d’empiéter sur le territoire de l’un ou de l’autre, cette interview-dialogue va tout naturellement devenir une conversation à trois très agréable sur le cinéma, la Finlande, Aki Kaurismäki.
Sherwan Haji me raconte d’abord sa vie. Il a 37 ans. Son père était homme d’affaire syrien, son grand-père aussi. Sa famille appartient à la communauté kurde. Dans son pays, il a suivi des études de cinéma pour devenir acteur au conservatoire de Damas, mais aussi réalisateur. C’est ainsi qu’il a découvert le cinéma de Kaurismaki pour la première fois. Au départ, à cause de ce prénom, Aki, il pensait qu’il s’agissait d’un réalisateur japonais. Il l’a aimé tout de suite, ce cinéma-là. Sherwan a joué dans quelques séries syriennes, commençait à acquérir une certaine notoriété. Il ne pensait pas à la Finlande, qui restait pour lui le pays de Nokia.
Mais, en 2008, il rencontre une jeune Finlandaise, ils tombent amoureux l’un de l’autre. Alors, quand elle exprime le désir de rentrer dans son pays, il la suit, ils ont une fille, vivent toujours ensemble. Pour parfaire sa formation de metteur en scène et sa pratique de l’anglais, Sherwan fait de fréquents séjours en Angleterre. Aujourd’hui, il a la nationalité finlandaise et parle la langue finnoise couramment.
En 2011, quand la guerre éclate en Syrie, il est déjà loin. Aujourd’hui, il a encore de la famille dans son pays, notamment à Alep. Il est en contact avec elle très régulièrement. Mais il n’a pas connu la guerre. Il n’y a pas eu de morts parmi les siens.
Au fil de la conversation, je m’aperçois que Sherwan Haji a le regard qui brille en permanence. Il semble éternellement enthousiaste, insensible au doute, aux obstacles. Apprendre le finnois ? Fastoche ! “Toutes les langues étrangères sont différentes, c’est tout“. Irmeli éclate de rire, m’explique qu’il n’en est rien, que le finnois, c’est compliqué, mais que Sherwan “est un soleil“.
A-t-il rencontré le racisme en Finlande, comme son personnage dans L’autre côté de l’espoir (qui se fait tabasser par une bande skinheads) ? « Il y a du racisme dans tous les peuples du monde. Je ne crois pas qu’il y en ait plus chez les Finlandais que chez les Syriens ». Je vois qu’Irmeli sourit et je lui demande son avis, avec l’assentiment de Sherwan : “Je crois quand même qu’il y a plus de racisme en Finlande qu’en France, alors qu’on y trouve beaucoup moins d’immigrés. Mais nous savons tous que c’est la méconnaissance qui donne naissance au racisme, non ?“.
Puis Sherwan va m’expliquer qu’il a tout de suite compris que travailler avec Kaurismäki (en répondant tout simplement à une annonce de casting, qui cherchait un acteur parlant à la fois l’arabe et le finnois) allait être une expérience extraordinaire : “Kaurismäki est chaleureux mais parle peu. Ses techniciens lui obéissent au doigt et à l’oeil, souvent sans qu’ils aient besoin de parler avec lui. Il est extrêmement précis. Il ne fait qu’une prise si elle est bonne. Il peut s’énerver sur de tous petits détails, un bout de décor, un pli dans un vêtement, qui n’en sont pas pour lui. Il ne cadre et ne filme que ce dont il a besoin. Il ne se “couvre” jamais avec des plans inutiles dont il sait qu’il ne fera rien, comme la plupart des réalisateurs.Mais, oui, en gros, Kaurismäki ne dit rien. Et s’il ne dit rien, c’est qu’il est content”.
Sherwan, au début du tournage, attendait des remarques, des compliments, des conseils ou des réajustements dans son jeu. Il a vite compris que le silence était un compliment.
“De toute façon, la mise en place de la caméra, dans le décor, est si pointilleuse, la mise en scène si rigoureuse qu’il n’y a pas mille façons de jouer. C’est le découpage, mais aussi sa seule présence à lui, qui vous impose le jeu et vous fait entrer dans l’univers d’Aki “.
Alors quand lui demande s’il pense que cette expérience a modifié son rapport au cinéma, le regard de Sherwan Hadji, si profond, brille encore plus :
“Oui, bien sûr. J’ai compris qu’un vrai cinéaste est un artiste qui pose un regard sur le monde. Qui travaille à faire passer le monde à travers ce regard unique. Ce n’est pas le cinéma qui doit s’imposer au cinéaste. J’ai eu de la chance de rencontrer Aki. C’est à la fois un maître du cinéma et un être humain exceptionnel.”
Il rougit un peu : “J’écris en ce moment. J’écris un film...”
Un ange passe (Kaurismäki ?).
Dans les poches de Sherwan Haji :
Crédits Renaud Monfourny