Sherwan Haji, un destin kaurismäkien – par Frédéric Strauss
Dans “L’Autre Côté de l’espoir”, il joue le rôle de Khaled, un réfugié syrien qui débarque clandestinement en Finlande. Mais s’il est passé, lui aussi, de Damas à Helsinki, le comédien a suivi un tout autre chemin. Et croisé Kaurismäki avant même de travailler avec lui…
Un acteur n’est pas obligé d’être le personnage qu’il joue. » Cette évidence, Sherwan Haji la souligne avec force. Et ces mots, on le sent, sont un soulagement. Heureusement, oui, il a pu jouer Khaled, le réfugié syrien héros du nouveau film d’Aki Kaurismäki, L’autre côté de l’espoir, sans avoir à suivre son parcours à travers les frontières, les violences. Heureusement, tous les Syriens n’ont pas la même histoire.
03
Tropisme finlandais
La sienne a commencé il y a trente-sept ans, dans un village kurde du Nord-Est de la Syrie, et s’est nouée à Damas, au conservatoire d’art dramatique. Sherwan Haji y réalise son rêve, devenir acteur, et y a rendez-vous avec son destin. « Un de nos professeurs nous présentait chaque semaine un film étranger, souvent européen, raconte-t-il. Un jour, il nous a montré L’Homme sans passé, d’Aki Kaurismäki. Les élèves de la classe ont rigolé, ils trouvaient que le nom de ce Finlandais sonnait comme du japonais. Mais, après avoir vu le film, tout le monde était impressionné .» Quelque temps après, l’apprenti comédien rencontre dans un magasin la jeune femme qui deviendra sa femme. Elle est finlandaise. « Le fait d’avoir vu film de Kaurismäki m’a permis de lui parler d’autre chose que de Nokia. Elle a été étonnée, je crois que ça lui a plu. Il s’est passé quelque chose de plus entre nous grâce à L’Homme sans passé. »
En 2000, c’est l’amour qui pousse Sherwan Haji à s’exiler. Il laisse derrière lui un pays en paix. « Il y faisait encore bon vivre tant qu’on ne se mêlait pas de politique, la nourriture était bonne, les gens très affectueux », se souvient-il. Mais s’il quitte son pays, c’est aussi parce qu’il n’y voit aucun avenir pour lui, en tant que comédien. « Le travail ne manquait pas, la Syrie était alors un centre de production pour toutes les chaînes de télévision arabes. Beaucoup de feuilletons se tournaient là. J’ai trouvé des rôles et, en tant que Kurde, je pouvais en être très heureux car ce n’était pas donné d’avance. Mais, dès que j’ai commencé, j’ai vu les limites. Tous les scénarios se ressemblaient et ce qui était demandé aux acteurs était le B.A. BA du métier, rien d’autre. J’ai compris que ça n’allait pas me convenir. »
L’expression de la dignité
En Finlande, les défis ne manquent pas. Pendant six ans, il va tout y faire, sauf jouer. Tout en gardant espoir, il développe de nouveaux talents. Depuis Helsinki, il s’envole pour la Grande-Bretagne, où il étudie la mise en scène. Il écrit un mémoire sur les méthodes de travail des cinéastes avec leurs comédiens. Il anime des stages sur les techniques de jeu. Jusqu’au jour où un e-mail relayé par différentes associations d’amitié entre la Finlande et la Syrie arrive jusqu’à lui. Un cinéaste finlandais dont le nom n’est pas précisé cherche un acteur de préférence syrien, parlant l’arabe et, si possible, le finnois. Envoyez photo à la production, qui transmettra…
La photo est bonne, assurément. Car l’attirance de Sherwan Haji pour le cinéma n’est sans doute pas étrangère à cette évidence : il a une vraie gueule d’acteur. Ses traits harmonieux dessinent même une séduction à l’ancienne. Pour interpréter un réfugié syrien, beaucoup de cinéastes auraient choisi un homme au visage plus marqué. Logique mais banal. Kaurismäki, lui, ne cherche pas la vérité du photo-journalisme : c’est de la beauté de son art qu’il fait un révélateur. Il ne craint pas de faire porter au personnage de Khaled des chemises repassées, des cheveux gominés, bien peignés. Et du physique distingué de Sherwan Haji, il fait l’expression de la dignité de ce réfugié.
Ne rien attendre, s’attendre à tout
Cette expérience, l’acteur en parle encore avec des yeux émerveillés. « Jamais je n’aurais imaginé qu’un jour je rencontrerais Aki, et évidemment pas que je tournerais sous sa direction. C’est un maître. Il est très précis et très clair dans sa mise en scène, il ne met pas ses comédiens dans l’insécurité. Il donne peu d’indications de jeu mais il sait créer les conditions du résultat qu’il recherche. C’était formidable d’observer et d’absorber sa méthode de travail. Et, pour moi, avoir autant à jouer, c’était bien sûr magnifique. Mais le plus fort, finalement, c’était de sentir que je ne rencontrais pas seulement un cinéaste mais un être humain. La poignée de main d’Aki, son regard, ce sont mes plus grands souvenirs .»
Avec ce regard aiguisé sur le cinéma, Sherwan Haji est devenu un ambassadeur de choix pour L’Autre Côté de l’espoir. Et s’il est plus à l’aise sous les projecteurs que son réalisateur, il ne court pas après la gloire. Persuadé qu’il lui faut rester prêt à faire autre chose que son métier, il n’attend rien et s’attend à tout. « Je sais que la vie peut vous mettre dans des situations difficiles. Peut-être que j’arriverai à réaliser mes propres films. Mais peut-être que je devrai me teindre les cheveux en blond pour jouer un Finlandais ». Il rit aux éclats. La joie de ce Syrien d’Helsinki vaut de l’or.
L’autre côté de l’espoir, d’Aki Kaurismäki, avec Sherwan Haji. En salles.