SUR LA ROUTE DE LA SOIE – Par Salam Kawakibi

Article  •  Publié sur Souria Houria le 30 novembre 2012

La relation du pouvoir syrien avec le tissu urbain n’a jamais cessé d’être conflictuelle. Elle se confirme par la destruction avec les bombardements massifs des villes anciennes comme récemment à Alep. Ses quartiers et ses monuments classés patrimoine mondial ont été des cibles privilégiées.
Ainsi, la corruption systémique qui précédait la révolution, et qui était une de ses raisons, avait toujours traité la mémoire collective avec mépris. Les dégâts perpétrés ces derniers mois dans les souks d’Alep, l’une des plus vieilles galeries commerciales au monde, ne peuvent qu’en être la démonstration extrême.
La bataille d’Alep n’est qu’un exemple d’une situation plus générale et traduit une impasse opérationnelle dans laquelle le pouvoir ainsi que l’opposition se trouvent.
La Syrie est en face d’un premier défi alarmant : une guerre contre les civils qui risque de se transformer en guerre civile. Après avoir développé tous les ingrédients par le pouvoir et avec la complicité active ou passive de la « communauté » internationale, un tel renversement de la situation ouvrira des spectres d’avenir plus complexes et plus incertains. Pour échapper à cela, le travail des forces de la société syrienne doit se renforcer d’une façon méthodologique bien avant le changement souhaité.
Dans cette logique, des projets élaborés par des intellectuels engagés, technocrates sensibilisés et activistes peuvent ouvrir des brèches d’espoir dans un ciel obscur. En guise d’exemple, The Day After[2], consiste à imaginer des scénarios pour l’après Assad et ouvre le débat sur la transition politique sous plusieurs chapitres. Ainsi, les efforts à construire des commissions de vérité dans le cadre de la justice transitionnelle peuvent rassurer un grand nombre de Syriens et les éloignent du désir revanchard.
Le deuxième défi est incarné par une situation humanitaire catastrophique qui ne cesse d’interpeller la conscience internationale endormie. Les déclarations et les bonnes intentions n’alimentent pas des affamés et elles n’abritent pas des refugiés. Les retombées néfastes d’une telle situation risquent d’avoir des impacts très profonds sur la société syrienne mais aussi sur les pays avoisinants.
A la sortie de cette crise, la Syrie atteindra un niveau économique catastrophique avec tout ce que cela peut engendrer au niveau sociétal. Dès lors, un plan « Marshall » est nécessaire et il doit avant tout s’appuyer sur la diaspora syrienne déjà engagée dans l’aide humanitaire ainsi que sur les donateurs étrangers.
La transition démocratique sera un long processus pour enrayer cinq décennies d’absence totale de pratique politique et pour remplacer la culture de la peur par un engagement citoyen. La façon avec laquelle les Syriens aboutiront à concrétiser la fin de la dictature sera déterminante pour l’issu du processus durant les années à venir.
Les chantiers seront énormes par leur nombre et leur dimension. La reconstruction du tissu social, qui a été méthodiquement fissuré, nécessitera un travail minutieux au sein d’une société civile émergeante. L’économie qui a été spoliée et corrompue durant des décennies aura besoin d’un plan rigoureux de restructuration nationale. Pour ce faire, il est inévitable de rassurer la société dans son ensemble par l’application d’une justice transitionnelle efficace et par une série de réformes dans plusieurs domaines comme la justice, la sécurité et les forces armées.
Dans ce processus, même si les intérêts prédominent et que les relations internationales ne fonctionnent pas avec une logique de charité et de principes moraux, l’implication des pays riches (pour ne plus dire la communauté internationale qui est un concept farfelu), est inévitable. Après une indifférence aigüe, et pour se racheter, ces pays pourront investir dans la reconstruction d’une Syrie dévastée.
Cependant, la spéculation sur l’implication étatique des pays occidentaux ne donne pas des perspectives réelles. Ce qui sera le plus proche de la réalité humaine, viendra de la société civile internationale qui, même si elle est à moitié silencieuse actuellement, elle se réveillera, espérons-le, et s’impliquera plus dans le processus futur.
Finalement, les Syriens, et dès le premier jour, ont bien avalé le fait qu’ils aient été abandonnés et laissés à leur destin. C’est un constat crucial qui les aidera à surmonter tous les obstacles futurs. Car s’ils sont capables d’aboutir à leur liberté et à préserver la cohésion sociale fortement endommagée, le reste sera relativement accessible.

[1] Directeur adjoint de l’Arab Reform Initiative et Professeur associé à l’Université Paris 1. Membre du Conseil COnsultatif de l’Assemblée des Citoyens et Citoyennes de la Méditerranée.
[2] http://www.thedayafter-sy.org/media/thedayafteren.pdf

Source: http://www.medea.be/2012/11/sur-la-route-de-la-soie-2/