Syria al-Shaab, la révolution syrienne à l’antenne – par Khalil Beshir et Nicolas Baker
Depuis un an, Syria al-Shaab, une petite chaîne de télévision basée en Jordanie et diffusée en Syrie, relate le conflit syrien à partir d’images amateur. Elle est ainsi devenue un organe à part entière de la révolution syrienne.
Syria al-Shaab (Syrie du peuple) a un an tout juste et elle concurrence déjà al-Jazeera en Syrie. La petite télévision clandestine, basée en Jordanie, couvre exclusivement le conflit en Syrie. Elle ne compte qu’une trentaine de journalistes et techniciens, mais parvient à diffuser des images du conflit pendant plus de huit heures chaque jour. Ses sources : des vidéos tournées par les rebelles et les civils syriens avec leurs téléphones portables et postées sur Internet. Les correspondants, eux, interviennent à l’antenne via Skype.
« Même si parfois l’image est médiocre, le message passe quand même. Et c’est bien ça le plus important », assure Friras Mohamed, l’un des présentateurs de la chaîne. « On essaye d’être présent médiatiquement dans les zones qui ne sont pas couvertes par les autres chaînes, poursuit Salem Nemri, un technicien. Il faut donner l’info à travers le monde sur ce qui se passe dans toutes les villes syriennes. »
Les images diffusées sont parfois difficilement soutenables, comme le révèle la vidéo de promotion de la chaîne (lien en langue anglaise, attention certaines images peuvent choquer). Des enfants morts, démembrés ou grièvement blessés, la souffrance d’un petit garçon maculé de sang, des manifestants passés à tabac, torturés, tués…
En un an, la chaîne est devenue la télévision de la révolution syrienne. Le régime de Bachar al-Assad tente donc par tous les moyens d’en empêcher la diffusion. Il y est parvenu à deux reprises. Syria al-Shaab était au début diffusée par Nilesat, un satellite égyptien, que les autorités de Damas sont parvenues à brouiller. Même scénario avec Arabsat quelques mois plus tard. Désormais, la chaîne est diffusée par un satellite du Golfe via les États-Unis. Impossible, pour Damas, d’en empêcher la diffusion.
Menaces contre les journalistes
Alors le régime s’en prend au personnel de la petite chaîne. Il n’est pas rare que les journalistes et techniciens soient l’objet de menaces. « On est toujours confronté à des menaces qu’on reçoit par email, Facebook ou Twitter. Parfois, on reçoit même des menaces personnelles par SMS sur nos téléphones », témoigne Koutaiba Khatib, l’un des principaux présentateurs de la chaîne.
Pendant dix ans, l’homme aux discrètes lunettes rondes a travaillé pour plusieurs chaînes arabes d’information. Il a rejoint Syria al-Shaab en novembre 2011. « Un ami m’a appelé pour me proposer de venir travailler ici, témoigne-t-il dans les colonnes du « Figaro« . Je n’ai même pas réfléchi. Je suis venu. » Pourtant, ni lui ni ses collègues ne sont payés. Parfois une prime, mais guère davantage. « Ce n’est pas un travail, pour nous c’est une cause », assure un autre journaliste, également cité par le quotidien français.
À l’origine de la création de Syria al-Shaab, en juillet 2011, se trouve Mohammad al-Ajlouni, un homme d’affaires américano-jordanien. En regardant à la télévision un discours du numéro un syrien condamnant les manifestations, il s’est décidé à se lancer dans l’aventure et a investi une grande partie de sa fortune pour créer sa chaîne. Son objectif était de diffuser ce que Bachar al-Assad tentait de dissimuler, expliquait-il en janvier dernier à une journaliste de « USA Today« . « Je n’aurais jamais imaginé que la chaîne deviendrait un moteur de la révolution syrienne, mais c’est ce qu’il s’est passé, raconte-t-il. Les Syriens savaient que la seule façon de diffuser des images dans le pays et à l’étranger était de le faire eux-mêmes. »