Syrian Electronic Army, la guerre des nerds – par Iris Deroeux

Article  •  Publié sur Souria Houria le 16 mai 2013

Bienvenue dans le mystérieux univers de la Syrian Electronic Army (SEA), l’armée électronique syrienne. Sa mission ? Pirater des sites et pages web qu’elle estime hostiles à Bachar al-Assad. Depuis quelques semaines, les grands médias, surtout américains, sont sa cible favorite. Ces hackers pro-régime syrien revendiquent des actions contre le site de la NPR, la radio publique américaine, pléthore de comptes Twitter — dont celui de l’AFP, de la BBC, d’Associated Press ou encore, dernièrement, du journal satirique américain The Onion… Leur cyber-attaques ressemblent à des campagnes d’autopromotion lorsqu’ils placardent « The SEA was there » sur le site de la radio NPR, à des déclarations d’amour au président syrien quand ils recouvrent l’une des pages Facebook de Barack Obama d’un« We love Bashar Alassad so, leave us alone Obama », (« Nous aimons Bachar al-Assad, alors fiche-nous la paix Obama ») voire à des blagues, comme les tweets fantaisistes sur le compte météo de la BBC où l’on pouvait lire : « Une station météo saoudienne en panne en raison d’une collision frontale avec un chameau. »

Ça ne fait plus rire grand monde depuis le 23 avril, quand les hackers s’en sont pris au compte Twitter de l’agence de presse AP en postant des messages annonçant « deux explosions à la Maison Blanche, Obama blessé ». En trois minutes, Wall Street s’est affolé et a perdu 136 milliards de dollars (105 milliards d’euros). Si l’agence a vite repris le contrôle, elle a tout de même mis une journée à sécuriser et rouvrir son compte, suivi par 1,9 million d’abonnés. Difficile, suite à cela, d’ignorer la nébuleuse cyber-armée…

Qui sont ces hackers ? « Il s’agit principalement d’une opération de communication. L’armée électronique syrienne cherche l’attention des médias et la publicité », explique àLibération Helmi Noman, chercheur sur Internet et le monde arabe à l’université de Toronto.« Mais il y a des éléments à prendre au sérieux. Ils réussissent à interrompre les flots d’information en ayant recours à des « attaques par déni de service » [rendant indisponible un service informatique ou l’accès à un serveur, ndlr] et causent ainsi une certaine panique politique et économique. Si les attaques Twitter continuent, la SEA peut affecter la réputation de grands médias », poursuit cet expert de la SEA, qui suit ses activités depuis sa naissance.

Car l’armée électronique syrienne n’est pas nouvelle, sa création remontant au début de la révolution syrienne, en 2011. Elle expose alors ses intentions sur ses différents sites internet. Sur Syrianelectronicarmy.com (désormais fermé), les hackers se présentent, au printemps 2011, comme, « un groupe de jeunes syriens enthousiastes qui ne pouvaient pas rester passifs face à la distorsion massive des faits sur le récent soulèvement en Syrie ». A l’époque, ils s’en prennent surtout à des sites web israéliens, aux comptes Facebook d’opposants syriens, et ils commencent leur campagne de spam à l’encontre des médias, tels que Al-Jezira ou Al-Arabia TV. L’armée électronique syrienne pirate aussi des boîtes mails, à en croire le site Leaks.syrianelectronicarmy.com, où les hackers se disent« honorés de collecter des infos en piratant les boîtes mails de certains pays qui sont devenus les ennemis de la Syrie ».

 

 

Difficile de savoir quelles actions concrètes se cachent derrière ces déclarations. Mais leurs efforts sont salués par Bachar al-Assad lui-même, en juin 2011, qui parle dans un discours télévisé d’une « vraie armée dans la réalité virtuelle ». De quoi intriguer les experts comme Helmi Noman, se demandant si la SEA n’est pas tout bonnement liée au régime syrien.

Les hackers démentent… à peine. En témoigne l’interview d’un membre de la SEA — usant du pseudonyme Th3 Pr0 — par le magazine américain Vice, en avril. « Non, nous ne transmettons pas d’information sur des militants [anti-Al-Assad, ndlr]. Le régime n’a pas besoin de nos informations, il dispose de ses propres services de renseignement », s’y défend le hacker. Mais le journaliste insiste, et Th3 Pr0 lâche : « Si les militants de l’armée syrienne de libération planifient un attentat ou le kidnapping de quelqu’un, alors oui, nous le dirons au gouvernement. Nous ne nions pas le fait que de nombreux mails que nous avons obtenus ont été transmis au gouvernement. »

Les voilà donc partis en cyber guerre contre les opposants syriens, les médias et enfin contre le mouvement des Anonymous. Le fameux réseau de hackers anonymes est leur ennemi par essence, puisque l’un de ses objectifs est d’aider la résistance syrienne. Les deux camps se font la guerre à base de vidéos sur YouTube, ressemblant pour la plupart à de mauvais films de science-fiction. L’armée électronique syrienne y répète : « Nous sommes imbattables ». Voilà qui doit ravir Bachar al-Assad.

source : http://www.ecrans.fr/Syrian-Electronic-Army-la-guerre,16380.html

Paru dans Libération du 13 mai 2013