Syrie : Al-Assad reste entre les lignes – Par JEAN-PIERRE PERRIN

Article  •  Publié sur Souria Houria le 2 juillet 2012

ANALYSE L’accord trouvé à Genève prévoit une transition politique n’impliquant pas le départ du Président.

Bachar al-Assad ne partira pas. Pas de son plein gré. Même si les puissances du groupe d’action sur la Syrie (les cinq membres du Conseil de sécurité, la Turquie et des pays représentant la Ligue arabe), qui se sont réunies samedi à Genève, se sont mises d’accord sur la nécessité d’un gouvernement de transition à Damas, la déclaration finale ne prévoit pas que le dictateur syrien renonce au pouvoir. Le texte ne comprend même plus des déclarations, présentes dans une précédente version, qui excluaient explicitement la présence dans le futur gouvernement de «ceux dont la présence et la participation continues saperaient la crédibilité de la transition et mettraient en danger la stabilité et la réconciliation». Si cet accord sur une transition voyait le jour, bourreaux et victimes se retrouveraient dans un même gouvernement, ce qui est hautement improbable. Autant dire que le conflit, qui dure à présent depuis seize mois, n’est pas prêt de s’achever. Au risque de nouvelles escalades et d’une contagion de la crise aux pays de la région.

Que prévoit exactement l’accord de Genève ?

La formation d’un gouvernement d’union nationale, qui inclurait des membres de l’actuel gouvernement et de l’opposition, et qui se ferait sur la base d’un consentement mutuel. «Le conflit doit être résolu par un dialogue et des négociations pacifiques», a déclaré Kofi Annan, le représentant spécial de la Ligue arabe et des Nations unies pour la Syrie. Des mots vides de sens à l’heure où les violences gagnent encore en intensité. La réunion de Genève a une nouvelle fois opposé la Russie et la Chine, principaux alliés de Damas, qui refusent un départ forcé de Bachar al-Assad, aux Etats-Unis et leurs alliés européens et arabes qui jugent celui-ci indispensable.

A lire la déclaration finale, on voit que Moscou a gagné haut la main cette partie, obtenant même que le processus de transition en Syrie, contrairement à ce que souhaitait Kofi Annan, ne fasse l’objet d’aucune condition préalable. C’est pourquoi le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, s’est déclaré «ravi». Dès lors, la déclaration de Hillary Clinton affirmant que l’accord ouvrait la voie à la formation d’un gouvernement d’union nationale sans l’actuel président, apparaît comme un vœu pieux. Seul point positif pour les Occidentaux, la question du départ du Président est ouvertement posée. «Ce que nous avons fait ici [à Genève, ndlr], c’est détruire la fiction selon laquelle lui et ceux qui ont du sang sur les mains pourraient rester au pouvoir», a ajouté la secrétaire d’Etat américaine.

Que va faire l’opposition ?

Burhan Ghalioun, ancien chef du Conseil national syrien (CNS), principale coalition de l’opposition, a qualifié sur sa page Facebook de «farce» l’accord. Il a ironisé sur le fait que les Syriens devaient négocier avec «leur bourreau, qui n’a pas cessé de tuer, torturer […] ou violer des femmes». Officiellement, le CNS doit cependant montrer qu’il est toujours prêt au dialogue afin de ne pas irriter la communauté internationale. C’est pourquoi Bassma Kodmani, porte-parole du CNS, tout en regrettant que le plan d’ensemble reste «trop vague pour entrevoir une action réelle et immédiate» , a trouvé «quelques éléments positifs» dans le texte. De leur côté, les comités locaux de coordination (LCC), qui organisent la mobilisation sur le terrain et qui sont le fer de lance de la révolte, ont jugé que les «tournures obscures» employées dans l’accord permettaient au régime «de jouer avec le temps» pour continuer «les massacres».

Damas peut-il accepter un tel plan ?

Le régime syrien n’a nullement l’intention de partager le pouvoir avec l’opposition, ce qui signifierait pour lui le début de la fin. Mais il pourrait faire mine de l’approuver et en user pour chercher à diviser l’opposition, en débauchant quelques opportunistes, des opposants dits «de l’intérieur», communistes ou nationalistes. Et en profiter pour gagner encore du temps, ce qui constitue l’essentiel de sa stratégie depuis le début de la révolte. Si la situation intérieure s’aggrave encore, il pourrait aussi jouer la carte de la contagion régionale. Fort de l’appui que lui ont renouvelé Moscou et Pékin, le régime a repris hier Douma, ville d’un demi-million d’habitants située à 15 kilomètres de Damas, après des semaines de siège – les habitants en fuite évoquent des corps gisant dans les rues. Il fait aussi bombarder Homs et Deraa.

La tension avec la Turquie va-t-elle se poursuivre ?

Sans doute, car elle permet à Damas de miser sur la solidarité et le nationalisme arabes, sur le plan intérieur et extérieur, contre Ankara. L’armée turque a annoncé hier que des hélicoptères syriens se sont approchés la veille de la frontière, à trois reprises et que la chasse a été envoyée en patrouille.

Source: http://www.liberation.fr/monde/2012/07/01/syrie-al-assad-reste-entre-les-lignes_830470