Syrie : « C’est comme si Hitler avait organisé une élection en 1944 » – interview de Michel Kilo – propos recueillis par Benjamin Barthe

Article  •  Publié sur Souria Houria le 3 juin 2014
Michel Kilo, le 30 mai à Istanbul.
Michel Kilo, le 30 mai à Istanbul. | AFP/OZAN KOSE

Ecrivain et dissident syrien, Michel Kilo, 74 ans, est l’un des principaux représentants du courant libéral au sein de la Coalition nationale syrienne (CNS), la vitrine politique de la rébellion anti-Assad. Le Monde l’a rencontré à son domicile parisien à la fin du mois de mai, quelques jours, avant l’élection présidentielle, organisée mardi 3 juin en Syrie, qui devrait offrir à Bachar Al-Assad un troisième mandat consécutif.

 

En 2011, quand la révolution a commencé, avez-vous imaginé un seul instant que « Bachar » pourrait être réélu trois ans plus tard ?

Bien sûr que non. Ca nous semblait impossible. La Tunisie et l’Egypte venait de sedébarrasser de leur dictateur en quelques semaines. On pensait que dans cette vague révolutionnaire, le cas syrien ne serait pas différent. Malheureusement pour nous, la Syrie s’est révélée être une exception. Les forces révolutionnaires ont été prises en otage par les puissances régionales, puis les djihadistes. Notre pays est devenu le théâtre d’un grand règlement de compte entre le Qatar, l’Arabie saoudite, l’Iran, la Turquie, la Russie, etc. Le soulèvement populaire et pacifique des débuts s’est transformé en un conflit aux dimensions multiples, notamment régionales et religieuses. Les Syriens en arrivent à sesacrifier pour des enjeux extérieurs, qui les dépassent. Mais nous ne pouvons pas baisserles armes, car cela signifierait l’échec de la révolution, c’est notre misère. Qui va nous sortirde cette impasse tragique ?

 

Quel sens a ce scrutin pour le régime syrien ?

C’est sa manière à lui de dire aux pays occidentaux, « oubliez Genève [le plan de sortie de crise, élaboré en 2012, au centre des discussions entre représentants du régime et de l’opposition qui se sont tenues, sans succès, cet hiver, à Genève], oubliez tout espoir de transition démocratique, le régime est là pour rester, la seule solution au conflit c’est notre solution ». Le régime fait de gros efforts pour maintenir le calme, donner l’impression que la révolution est terminée, derrière lui. Mais dans les faits, il mène une politique totalitaire, comme on le voit aux barils d’explosifs lâchés chaque jour sur Alep. C’est la mise en pratique du principal slogan de ses partisans : « Assad ou nous brûlons le pays ». C’est comme si Hitler avait organisé une élection en 1944 !

Le régime affirme que le scrutin du 3 juin est pluraliste, puisque deux autres candidats se présentent. Votre réaction ?

Le régime veut projeter l’image d’une situation en voie de normalisation, comme s’il y avait un accord en interne, pour rejeter les propositions des Occidentaux. Les deux autres candidats sont des anciens députés. Maher Al-Hajjar est un ex-communiste alépin. Hassan Al-Nouri est un petit entrepreneur, qui fabrique des brosses à reluire, ce qui est comique dans le contexte actuel. Maher a fait quelques déclarations courageuses, il a parlé des demandes justes de la révolution, critiqué la corruption. Mais il reste un acteur, dans un décor de théâtre. Tout cela est une mise en scène, à destination des médias occidentaux. La presse officielle a même fait courir la rumeur que des postes dans le gouvernement avaient été offerts à moi-même ainsi qu’à Moaz Al-Khatib [ancien président de la CNS].Bachar fera 90 % ou 95 %.

Ahmed Jarba, le président de la CNS, a récemment rencontré François Hollande. Que se sont-ils dits ?

La France cherche une sortie à la crise. Au nom des démocrates syriens, je veux remercierM. Hollande pour tout ce qu’il fait pour nous. C’est un devoir moral, pour la communauté internationale, de nous sauver des griffes de ce sauvage. De quel droit massacre-t-il son peuple ? Parce qu’il est anti-impérialiste et anti-sioniste ? Parce qu’il combat pour le progrès et les libertés ? Foutaises !

Paris comme à Washington, où il a rencontré Barack Obama, M. Jarba a réclamé des armes, mais il est reparti bredouille…

La situation est simple. Soit les pays occidentaux nous arment sérieusement et nous pourrons nous défendre contre le régime et contre les djihadistes. Soit ils ne font rien et les djihadistes continueront de prospérer et finiront par se retourner contre eux [l’entretien a été conduit avant la tuerie du Musée juif de Belgique]. Nous donner des armes, cela nous servirait à nous défendre et à vous défendre aussi. Cessons avec l’argument du risque que les armes tombent entre de mauvaises mains. Les djihadistes sont déjà très bien équipés, souvent mieux que nous. Vis-à-vis des alliés du régime, comme la Russie, une amélioration de notre armement aurait aussi des effets positifs. Moscou comprendrait enfin qu’il n’y a pas de solution militaire. Des négociations sérieuses pourraient enfin commencer. Je suis relativement optimiste. Nous avons senti une légère évolution côté américain. Des armes sophistiquées vont bientôt arriver.

 

source : http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2014/06/02/syrie-c-est-comme-si-hitler-avait-organise-une-election-en-1944_4430532_3218.html

date : 02/06/2014