Syrie : comment les camps de réfugiés sont devenus de véritables petites villes
Les Syriens qui ont fui la guerre vers le Liban, la Turquie, la Jordanie et d’autres pays ont réussi à recréer leur patrie sous une tente. Ils ont monté des camps et se sont forgés de nouvelles existences qui ne ressemblent en rien à celles qu’ils ont quittées.
Lorsque de nombreux Syriens se sont exilés, il y a plus de quatre ans, ils ont emporté des petits bouts de chez eux. Aujourd’hui, ce sont environ 4,3 millions de réfugiés qui vivent dans les pays frontaliers, selon un rapport récent du Haut commissariat aux réfugiés des Nations Unies. Celui-ci indique également que 7,6 millions de Syriens ont fui les combats mais n’ont pas quitté le pays.
Dans les camps principaux, citons ceux de Zaatari en Jordanie, Otmh en Syrie et Killis en Turquie, ainsi que d’autres de tailles variées. Malgré les conditions de vie difficiles qui y règnent, les habitants ont survécu à la guerre et la dévastation et continuent à mener leur vie comme ils l’entendent.
Vêtements indiens à la mode syrienne
Récemment, des organisations de bienfaisance ont envoyé un très grand nombre de vêtements indiens dans le camp de Otmh, situé au nord de la Syrie, près de la frontière turque. Les résidents les ont trouvés très étranges par rapport à leurs tenues arabes traditionnelles et ils étaient gênés à l’idée de les porter.
“Il n’était pas question de se débarrasser de tous ces vêtements étant donné que les réfugiés ont besoin de toute l’aide qu’on peut leur apporter”, explique Ahlam Al-Rashid, qui dirige l’un des centres féminins du camp pour une organisation internationale. “Comme les habitants ne se voyaient pas porter de tels habits, les femmes les ont modifiés pour qu’ils plaisent aux enfants et s’en sont même servies pour coudre des robes pour les filles et des pantalons pour les garçons.”
“Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir”, déclare-t-elle, expliquant comment les années passées entre Otmh et le camp de Al-Karamah, également situé dans le nord de la Syrie, lui ont appris que la vie continue, envers et contre tout. Les sourires sur les visages des enfants qui portaient ces vêtements indiens ont redonné vie au camp, ajoute-t-elle.
Mme Al-Rashid a perdu son père et son frère à la guerre. Cette expérience lui a donné envie d’aider les autres à surmonter leur douleur et à s’adapter à leur nouvelle vie. “Le processus d’adaptation à la vie du camp se fait en plusieurs étapes”, indique-t-elle. “Une équipe du centre prend en charge les nouvelles venues et leur explique comment s’approvisionner en eau et en nourriture, et comment subvenir à leurs besoins quotidiens.”
De 175 à 200 réfugiées se rendent au centre tous les jours pour apprendre de nouvelles compétences susceptibles de les aider à gagner leur vie. Certaines sont devenues si habiles en couture, tissage et artisanat que leurs magnifiques travaux ont été exposés et en ont étonné plus d’un.
Des instituts de beauté et des robes de mariage à louer
On pourrait croire que le fait d’intégrer un camp de réfugiés n’est empreint que d’amertume et de chagrin. Mais on s’aperçoit qu’il n’en est rien quand on visite les camps de réfugiés syriens le long de la frontière avec la Turquie. Nombre de réfugiés y vivent depuis un moment, et ils ont le sentiment que la guerre en Syrie ne finira pas de sitôt. De ce fait, les camps sont devenus de véritables petites villes où l’on peut trouver tout ce qui contribue à une vie normale.
Les femmes du monde entier “aiment se faire belles et il n’en va pas autrement dans les camps”, remarque Mme Al-Rashid. Plusieurs filles ont monté des salons de coiffure tandis que d’autres ont bâti des petites pièces faisant office d’instituts de beauté.
Certaines résidentes ont même ouvert des magasins de cosmétiques, de robes de mariage et de tenues de soirée. “Les marchandises arrivent dans le camp avec ceux qui les vendaient dans leur ville d’origine jusqu’à ce que leurs magasins soient détruits par des tirs d’obus”, déclare Ammar Haj Omar, membre d’un groupe de bénévoles, les Molham. “En quittant leurs villes ou leurs villages, ils ont emporté ce qui se trouvait dans leur magasin et certains ont récemment repris le travail pour gagner leur vie. Ils font venir les articles des villes voisines ou de la Turquie, par le biais d’intermédiaires.”
Omar a assisté à cette transformation au gré de son travail et des allées et venues incessantes entre les camps. “De nombreux résidents refusent de retourner dans leurs villages une fois que ceux-ci auront été libérés. Notamment parce qu’ils reçoivent ici aide et assistance, ce qu’ils ne trouveront pas de retour dans leur village et leur maisons détruits”, explique-t-il.
M. Omar dit être sorti de la dépression qui l’habitait quand il est arrivé au camp voilà deux ans. “Les camps sont désormais pleins de vie et de résilience. On y trouve de tout, aussi bien des boutiques où acheter de la nourriture syrienne traditionnelle que des activités diverses et variées et des compétitions sportives.”
Mêmes les pigeons se sont enfuis
Hassan et Mohammed, deux frères originaires de la province d’Idlib, se sont réfugiés avec leur famille dans le camp d’Al-Karama. Sur le toit de l’abri qui remplace leur tente, ils peuvent de nouveau s’adonner à leur passe-temps favori : le dressage de pigeons. On voit régulièrement les jeunes hommes du camp grimper sur les toits des bâtiments au coucher du soleil pour regarder les pigeons s’envoler.
“On pratiquait déjà ce hobby chez nous, à Idlib”, raconte Mohammed. “Chaque jour, on monte sur le toit, on nourrit les pigeons et on les regarde s’envoler, puisqu’on n’a pas de travail pour gagner notre vie. On préfère passer notre temps sur le toit de notre chambre avec les pigeons.”
Mohammed et Hassan ne sont pas seuls à pratiquer cette activité, très répandue en Syrie depuis des décennies. Le dressage de pigeon est d’ailleurs devenu très courant dans le camp et certains en ont même fait un travail en vendant et en échangeant les volatiles. De nombreux dresseurs installent également des pièges pour attraper les pigeons des autres et les revendre.
D’autres ont choisi de gagner leur vie différemment. Dans le camp d’Al-Karamah, Om-Khalid et ses filles ont fabriqué un four traditionnel pour cuire le pain et les tartes. Depuis peu sont apparus plusieurs étals proposant des tartes aux passants.
La plupart des femmes qui y travaillent ont quitté leur maison et leur village à cause de la guerre. “On ne peut plus vraiment parler de ‘camp’. Il y a deux ans, oui, mais aujourd’hui c’est notre réalité et notre nouvelle vie”, indique Om-Khalid. “En s’habituant à la guerre, on a appris à ne s’habituer à rien.”
Des leçons de taekwondo pour 400 enfants
Le taekwondo occupe une place très importante dans le camp jordanien de Zaatari. Tout a commencé il y a deux ans, avec un petit nombre d’enfants et une tente qui s’est transformée en centre de formation. Aujourd’hui, 400 enfants sont inscrits, dont 100 filles.
“Le taekwondo a redonné espoir aux enfants du camp et ramené le sourire sur leur visage”, affirme Fady Bekawi, l’un des entraîneurs. “Mais notre école ne se limite pas aux cours de taekwondo. Ici, les enfants reprennent confiance et apprennent à surmonter les séquelles physiques de la guerre. Ils apprennent aussi l’amour, le pardon, la justice et l’entraide. De telles notions sont importantes pour la nouvelle génération, qui va aider à bâtir la Syrie de demain.”
L’initiative, lancée par le docteur Lee Chul Soo, directeur de l’International Korean Refugees Project, a commencé dans une tente avec un sol en sable. Vingt élèves ont obtenu la ceinture noire et certains d’entre eux se préparent à se rendre en Corée du Sud pour assister à une compétition internationale.
Cet article, publié à l’origine sur le Huffington Post arabe, a été traduit de l’anglais par Catherine Biros pour Fast for Word.
source : http://www.huffingtonpost.fr/2015/08/01/camps-de-refugies-syrie_n_7916964.html
date : 02/08/2015