Syrie : «La Chine a réagi en puissance qui se sait au sommet» – par C.Bl
Interview: La Chine a emboîté le pas à la Russie sur le veto posé samedi au projet de résolution présenté au Conseil de sécurité de l’ONU. Jean-Luc Domenach, sinologue, en explique les raisons.
Au moins 34 morts ce lundi encore en Syrie, le Conseil national syrien qui dénonce un «génocide», la ville de Homs pilonnée… et, pendant ce temps, la communauté internationale reste paralysée, bloquée par le double veto posé samedi par la Russie et la Chine au projet de résolution présenté au Conseil de sécurité de l’ONU par l’Occident et les Arabes et condamnant la répression en Syrie. Quitte, pour Moscou et Pékin, à se mettre à dos les Occidentaux, furieux, et la grande partie du monde arabe qui condamne le régime du président syrien.
Si l’opposition de la Russie, qui prétexte un texte «déséquilibré» malgré de nombreuses concessions, peut s’expliquer aisément – Moscou, allié traditionnel de Damas depuis l’époque soviétique et vendeur d’armes au régime de Bachar al-Assad, cherche aussi à afficher sa détermination à l’approche de la présidentielle –, qu’en est-il de la Chine ? Le point de vue de Jean-Luc Domenach, sinologue et enseignant à Sciences-Po.
Comment expliquer le veto chinois à la résolution du Conseil de sécurité ?
C’est une réaction assez symptomatique de l’assurance, ou plutôt de l’impudence, d’une Chine qui se sait au sommet. Au faîte de sa puissance avant que les événements ne se gâtent. La seule chose qui les inquiète, c’est le vent de la liberté. Les dictatures n’aiment pas ce qui n’est pas prévisible.
Il s’agirait donc d’abord d’assurer ses arrières vis-à-vis d’une éventuelle contagion de la contestation populaire ?
Oui, mais pas seulement. Un autre élément d’explication tient à l’épisode libyen : les Chinois, qui n’avaient pas mis leur veto à la résolution sur la Libye en mars 2011, ont eu le sentiment de s’être fait rouler. Ils pensaient avoir donné leur accord pour la paix, pas pour enclencher une guerre.
Ensuite, il ne faut pas oublier l’habitude chinoise de fonctionner en couple avec les Russes. Quand les Russes prennent les devants, ils se mettent dans la roue.
Par ailleurs, ils estiment qu’on ne se débarrasse pas comme ça d’un dictateur. Enfin, ils n’ont pas d’hostilité particulière à l’encontre des alaouites [communauté proche du chiisme dont est issu Bachar al-Assad, ndlr].
Tous ces facteurs s’additionnent. Le but étant d’engranger un maximum de gain pour un minimum d’engagement.
Quel est le gain, ici ? Et le coût ?
Le gain, pour eux, c’est de montrer qu’ils sont dans le coup. La Chine ne pèse pas grand chose au Moyen-Orient, même s’il y a des Chinois au Liban, en Israël… Là, ils montrent qu’ils comptent. Ce n’est pas rien. Quant au coût, être le coprotecteur de la Syrie ne leur coûte pas cher. Le veto est critiqué sur les microblogs, mais comme les Chinois sont globalement peu informés sur la Syrie, le gouvernement peut contrer la critique en disant que la Syrie est une question complexe. Surtout, ce sont les Russes qui paient. Aussi longtemps que les Russes prendront le vent, les Chinois suivront, dès que les Russes arrêteront, ils cèderont.
source: http://www.liberation.fr/monde/01012388241-syrie-la-chine-a-reagi-en-puissance-qui-se-sait-au-sommet