Syrie / La dernière histoire du conteur damascène

Article  •  Publié sur Souria Houria le 9 septembre 2011


Le conteur damascène se mit à raconter : 

« Mesdames et Messieurs, il était une fois un pays où le lion [se dit : ElAssad en arabe (n.d.t)] tyrannisait la population. Il autorisait l’interdit, asservissait les enfants, réprimait les hommes, volait les richesses… Il menaçait les gens, leur ordonnant de lui obéir en tout. Dans le cas contraire, il augmenterait l’injustice, et lâcherait sur eux ses chiens et ses enfants. Les habitants acceptèrent d’abord cette situation, bien obligés, apeurés, et réprimés.
Mais au fond de leur cœur, ils ne voulaient pas du lion.

Puis, lentement, au fil des années, ils se sont habitués à tout cela. Ils se sont rendus, ont baissé les armes. Certains, d’ailleurs, l’ont pleinement accepté, et désirait même que cela se perpétue. Parmi eux, certains ont même invité le lion à ce qu’il se mette à les monter comme des bêtes…

Mais au fond de son cœur, le lion était comme un renard, malicieux, et mauvais. Le lion a rassemblé autour de lui les hommes d’affaires et les religieux. Il a convaincu les premiers d’entre eux qu’il les protégerait afin qu’ils puissent voler encore plus, et toujours plus, d’argent sale, illicite. Quand aux religieux et aux savants, il les persuada que ses crimes et ses injustices valaient mieux que de donner le pouvoir à quelqu’un d’inconnu. C’est ainsi que ces deux derniers groupes sont devenus des fidèles du lion, intégré à son troupeau de moutons, que Dieu vous en éloigne…Par leur présence, le lion était en sécurité. Il dormait chaque soir sur ses deux oreilles, bien tranquilles.

La situation est restée telle quelle de bien nombreuses années, jusqu’à ce que le désespoir, lentement, finisse par ronger entièrement le cœur des hommes. Il a tué dans leur cœur toute volonté de combat, les persuadant que le changement restera à jamais impossible. Que le lion et ses enfants resteront en place, pour toujours.

Cependant, comme vous le savez, rien n’est éternel en ce bas-monde. Et ce que les adultes ont accepté, leurs enfants, eux, ne l’acceptent pas toujours… Ces derniers, un jour, se rassemblèrent, à l’aube, dans un village. Un village fort lointain… Ils écrivirent alors, de leur plus belle écriture de petits enfants, en lettres claires et glorieuses, en de mots éloquents, en mots grandioses : « Le peuple veut abattre ce régime ». 

Entendant cela, le lion devint comme fou. Le soleil s’était levé depuis quelques heures à peine que le tyran, mais aussi toute sa bande de criminels, attaquaient le village qui avait fait chuter le régime. Se jetant sur ses habitants tels des bêtes féroces, se comportant avec eux comme le feraient les pires monstres. Ils ont torturés les enfants, arrachant leurs ongles, violant les femmes. Ils les ont affamés, leur interdisant le pain et même l’eau. Même les rites sacrés furent interdits…

Les habitants de la ville se sont alors rassemblés. Certains se sont mis en colère pour leur honneur sali, perdu. Et leur sang a bouilli à la vue de ce que faisait le lion de toutes ces choses si sacrées. D’autres ont parlé en ces termes : « Cela ne nous concerne pas, qu’ils s’arrangent entre eux, tant pis pour eux. Rien de tout ce qui a eu lieu ne nous désole pas ni ne nous attriste. » Ceux-là sont rentrés chez eux.
Mais les premiers, ainsi que de nombreux villages, se sont élevés et ont crié, haut et fort : « Si ! cela nous concerne ! et ce qui a eu lieu ne doit pas seulement nous faire pleurer… Rien ! non, rien, ne nous détournera de notre devoir ! Nous aiderons nos frères, dussions-nous en mourir ! ».

Le lion a alors agi avec ses villages de la même façon qu’avec le premier, en criminel, en monstre. Mais malgré tout, petit à petit, le nombre de villages révoltés a augmenté, s’approchant de plus en plus, de façon concentrique, de la ville où était basé le lion. Un homme est alors venu de l’extrémité de la ville, appelant les habitants : « Réveillez-vous ! Il est venu le temps du changement ! Il est venu le temps de se réveiller ! ». Il leur criait que tous les anciens usages étaient finis et non-avenus. Il criait : « Les hommes d’affaires vous ont volé ! Les religieux vous ont trompé ! Oui, il est venu le jour où le héros que vous attendiez, où l’ultime héros vient vous délivrer de vos chaines de servitude. »
A l’unisson, ils lui demandèrent : « Qui est-il ? Abu Zaid ? » Il leur répondit : « Non ». « Antara le Absside ? ». Il leur répondit « Non ». Ils enchainèrent ainsi les noms des héros mythiques : Saladin ? Bebars ? « Non ».
L’homme continua : « Ce héros parmi les héros qui vient vous libérer vous transformera. Il fera de chacun de vous un de ces héros de légende. Croyez-moi, chacun de vous deviendra un Antara, un Abou Zaid ou même un Saladin… » 
Ils lui crièrent « Mais qui est-il donc? »
L’homme, venu de l’extrémité de la ville leur répondit alors : « C’est la révolution. Une révolution qui va vous libérer, qui va briser vos chaines ! Qui fera de vous des géants. Qui fera de vous des révolutionnaires ! ». Certains, les plus courageux, ont été convaincus. Ils y ont cru et ont eu foi. Ceux-là ont arraché leurs chaînes, et restèrent ébahis de se transformer en géants, en hommes libres.

Le lion a alors rugi de dépit et de colère. Il a rassemblé ses enfants, ses fidèles, les religieux et savants faisant partie de ses esclaves et a décidé de raffermir leurs opérations contre la révolution. Et cependant… »

A ce moment, le conteur s’est arrêté. En effet, devant eux, passait une manifestation qui fait chuter le régime, les manifestants y scandait : « Celui qui ne participe pas, n’a pas d’honneur ! ». En quelques instants, le café se vida totalement de tout public. Car tous, avaient justement de l’« honneur », avaient de la fierté et du courage. Tous, étaient et resteront, dans la vie comme dans la mort, des hommes libres qui veulent abattre le régime.

Le conteur s’est alors retrouvé seul. Il s’est alors élancé, lui aussi, pour participer. Il hésita un instant puis revint à son siège où il avait laissé son cahier ouvert. Avant de partir, il y écrivit : Si je ne rentre pas, alors, ce sera à ceux qui resteront d’écrire la fin de cette histoire… ou peut-être, l’histoire de la fin.

Traduction originale de l’arabe de O.

Source : http://www.lepost.fr/article/2011/09/07/2585005_syrie-la-derniere-histoire-du-conteur-damascene.html

Date : 7/9/2011