Il y a l’effroyable bilan humain, d’abord. L’armée de l’air syrienne a mené vendredi 23 janvier des raids meurtriers sur une localité rebelle proche de Damas tuant 32 civils, dont six enfants, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), une ONG basée en Grande-Bretagne, qui a dénoncé un « massacre ». Toujours selon cette ONG, qui s’appuie sur un réseau de militants et de médecins locaux, en près de quatre ans, on dénombre plus de 200 000 morts. Parmi les victimes, plus de 60 000 civils, dont plus de 10 000 enfants.
De son côté, Amnesty International a dénoncé dans un rapport publié le 9 décembre 2014, et intitulé « La lamentable réponse du monde à la crise des réfugiés syriens », la gestion déficiente de la communauté internationale et de la France en particulier : « Actuellement, quelque 3,8 millions de réfugiés originaires de Syrie sont accueillis principalement dans cinq pays de la région : Turquie, Liban, Jordanie, Irak et Égypte. Seulement 1,7 % de ce total s’est vu proposer l’asile par un autre pays depuis le début de la crise, il y a plus de trois ans. (…) Les États du golfe Persique – parmi lesquels figurent certains des pays les plus riches du monde – n’ont offert d’accueillir aucun réfugié de Syrie jusqu’à présent. De même, la Russie et la Chine n’ont pas promis la moindre place d’accueil. À l’exclusion de l’Allemagne, le reste de l’Union européenne (UE) ne s’est engagé à réinstaller que 0,17 % des réfugiés dans les principaux pays d’accueil. Depuis le début du conflit, la France ne s’est engagée à réinstaller que 500 réfugiés et, à ce jour, environ 320 personnes seulement sont arrivées sur le territoire. »
Sur le terrain, la situation s’est encore obscurcie en ce début d’année après l’attaque contre un convoi de membres du Hezbollah libanais et de Gardiens de la révolution iranienne sur le plateau du Golan, près de la ville syrienne de Quneitra. Selon des médias libanais, syriens et iraniens, un hélicoptère israélien aurait tiré deux missiles contre trois véhicules près de la frontière israélo-syrienne. Douze combattants ont été tués, pour moitié des Iraniens, pour l’autre des Libanais. Deux commandants du Hezbollah, dont Mohammad Issa, responsable du dossier Irak-Syrie, auraient été tués dans l’attaque de lundi.
Depuis le début de la guerre en Syrie, Israël a bombardé à plusieurs reprises des cibles militaires sur le territoire de son voisin du nord. Mais, jusqu’ici, les frappes ont essentiellement touché des dépôts de munitions ou des convois s’apprêtant à transférer des armes vers le Liban (lire notre article Syrie : Israël et sa «politique du brouillard»). Un moyen pour Israël de rappeler à tous les acteurs du conflit syrien sa force de frappe sans égale dans la région, quand le régime de Bachar al-Assad a un besoin vital des troupes du Hezbollah, qui l’ont remis en jeu au printemps 2013 après la bataille de Qousseir.
Début 2015, concrètement, qui contrôle quoi en Syrie ?
De manière très schématique, on peut représenter la répartition des forces comme suit : à l’ouest, le régime ; au sud, les rebelles ; à l’est, l’État islamique.
Pour Philip Smyth, chercheur à l’université de Maryland aux États-Unis et spécialiste des milices chiites, le Hezbollah a « consolidé ses positions autour de Qalaloum (région montagneuse de l’ouest de la Syrie, ndlr) et bâti une ligne défensive à cet endroit. Entraînés et dirigés par les Gardiens de la révolution iraniens, de nombreux miliciens chiites afghans ont été envoyés en Syrie pour combattre aux côtés du régime l’an passé ».
En face, l’Armée syrienne libre (ASL) s’est peu à peu désagrégée. Ce projet ambitieux d’unifier les forces progressistes révolutionnaires sous un même commandement, notamment du général Idriss en 2012, est parti en lambeaux, en raison du manque de soutien extérieur. Avec le temps, le conflit s’est localisé. Aujourd’hui, la plupart des groupes se battent au niveau de leur village, et n’ont pas l’ambition d’agir à plus grande échelle. Toutes les grandes organisations se sont déstructurées, à l’exception de l’État islamique qui a renforcé sa cohésion. La rébellion s’est recomposée autour de plusieurs pôles. Au sud de la Syrie, ce qui reste de l’ASL demeure la première force sur le terrain, en partie grâce à l’une de ses composantes, le Front révolutionnaire de Syrie, qui a pourtant subi défaite sur défaite dans le nord face au groupe djihadiste Jabhat en-Nosra, qui combat lui-même l’État islamique.
Pour schématiser à l’extrême, l’ancienne ASL est donc partagée en deux factions rivales. Un pôle pro-saoudien, soutenu à la marge par les États-Unis, à savoir le Front des révolutionnaires de Syrie de Jamal Maarouf, qui s’est reconstitué et a pris le contrôle de l’Armée syrienne libre en débarquant le général Idriss, avant de perdre le contrôle d’Idlib à la fin 2013, poussé dehors par Jabhat-en-Nosra. Réunis par les Saoudiens, les groupes qui forment le Front révolutionnaire de Syrie ont des histoires et des trajectoires très différentes. L’autre branche, plus proche du Qatar mais tout de même considérée comme acceptable par les Saoudiens, c’est Hazam, un groupe issu de la décomposition de l’ASL à la fin 2013, qui est a lui aussi dû quitter Idlib mais opère à Alep et est toujours soutenu par Idriss. Tout en essayant de pousser des forces proches de l’ancienne ASL, l’Arabie saoudite s’oppose à la fois aux groupes proches des Frères musulmans et des djihadistes. Malgré cet éparpillement, le chercheur Thomas Pierret voit là le signe d’un début de consolidation, du moins idéologique : « Le front des révolutionnaires de Syrie et Hazam sont des groupes plutôt laïques, avec tous les guillemets qu’il faut mettre à ce mot. »
À Alep cependant, la situation est encore plus complexe, puisque un mouvement d’agglomération des factions rebelles non-djihadistes s’est opéré autour du Front islamique, groupe proche de l’ASL, d’un autre groupe nommé « l’armée des moudjahidines » et de Hazam. Il faut en outre ajouter des groupes djihadistes indépendants qui combattent aussi le régime syrien, et que l’on retrouve au sein du front Jabhat Ansar ed-din ; front qui ne prend pas parti dans le conflit entre les deux groupes djihadistes, Jabhat en-Nosra et l’État islamique. « C’est moins désorganisé qu’il y a deux ans, mais la fragmentation des forces est toujours une réalité, même à Alep, du côté rebelle », estime Thomas Pierret. Cette atomisation en une multiplicité de groupes qui se partagent divers financements peu importants (Arabie saoudite, Qatar, États-Unis) fait qu’aucune perspective de paix ne peut à moyen terme émerger du terrain proprement dit.
Impuissance totale de l’ONU
« Avec les paramètres actuels, aucun acteur ne sera en mesure de prendre la mesure des autres », estiment tant Thomas Pierret que Philip Smyth. « La grande question de l’année 2015 entoure la capacité de survie des rebelles en dehors de l’EI, ajoute Thomas Pierret. Je ne pense pas qu’ils vont disparaître car, en face, le régime a toujours un problème d’effectifs. Pour le dire de manière cruelle, ils vont finir par tomber à court d’Alaouites. Et je pense que les milices chiites qui viennent en renfort ont aussi leurs limites. De même, face à l’État islamique, le régime ne peut pas casser l’EI. L’État irakien a réussi à écraser l’ancienne version de l’EI en 2006 avec 150 000 troupes américaines et 3 millions de barils de pétrole par jour pour acheter les tribus sunnites. Le régime syrien ne dispose pas de ces ressources. »
Seule une solution politique pourrait permettre de sortir de l’impasse totale dans laquelle le conflit est engagé. La tragédie syrienne marque aussi la grande faillite de la communauté internationale et de l’ONU, incapables de produire une solution politique pour mettre fin au conflit le plus meurtrier de ce début de siècle…
Il y a exactement un an, Montreux accueillait la conférence Genève 2 : à savoir, plusieurs jours de négociations ultra-médiatisées entre le gouvernement syrien et une partie de l’opposition syrienne divisée, représentée par la Coalition nationale syrienne (CNS). Le processus s’appuyait alors sur le communiqué de l’accord de Genève 1 du 30 juin 2012 qui prévoit l’établissement par consentement mutuel « d’un organe gouvernemental de transition (…) doté des pleins pouvoirs exécutifs » et qui pourrait « inclure des membres de l’actuel régime ». Mais dès la mi-février, le second round de pourparlers s’achevait sur un échec total, Damas rejetant toute idée de transition politique, arc-bouté sur sa rhétorique de « lutte contre le terrorisme », avec le soutien de Moscou. La montée en puissance de l’État islamique achevait ensuite de précipiter Genève 2 dans les oubliettes de l’histoire. Lakhdar Brahimi, l’envoyé spécial de l’ONU et de la Ligue arabe en Syrie, jetait l’éponge le 13 mai 2014.
Depuis, l’ONU brille par son incapacité à sortir de la crise syrienne. Si un épisode devait résumer son impuissance, ce sont ces quatre listes confidentielles de présumés responsables de crimes de guerre et de crime contre l’humanité qui dorment depuis quelques années dans un coffre fort du Palais Wilson à Genève, le siège du Haut-commissariat aux droits de l’homme de l’ONU. Actualisées à plusieurs reprises, elles contiennent les noms de responsables du régime Assad et de membres des groupes armés non-étatiques, fruit du travail de la Commission d’enquête indépendante mise sur pied le 22 août 2011 sur résolution du Conseil des droits de l’homme (CDH). Personne à part son président, le Brésilien Paulo Pinheiro, et ses trois autres membres n’en connaît le contenu.
En décembre 2013, la haut-commissaire aux droits de l’homme Navi Pillay – aujourd’hui remplacée par le prince jordanien Zeid Ra’ad al-Hussein – avait déclaré qu’elle souhaitait la mise en place d’une enquête judiciaire « nationale ou internationale crédible », permettant de juger les responsables des crimes. Évoquant la présomption d’innocence, elle précisait que c’était dans ce seul cadre que les listes pourraient être rendues publiques.

En mai 2014, à New York, la France et la Lituanie ont tenté une saisine du Conseil de sécuritépour que la Cour pénale internationale se penche sur les plus graves crimes commis en Syrie, Damas n’étant pas signataire du traité de Rome. Un mois et demi auparavant, le rapport « Cesar » sur la torture et l’exécution de masse de 11 000 détenus entre 2011 et 2013 par le régime syrien, qui contient 55 000 photos, avait été présenté aux membres du Conseil de sécurité.
À ceux qui continuaient d’arguer que l’intervention de la justice internationale porterait atteinte « au processus de paix », l’ambassadeur français auprès des Nations unies avait sèchement rétorqué qu’« à cours et à moyen terme », il n’existait « aucune perspective de processus de paix » et que cette « impasse » ne « devait pas conduire à fermer les yeux sur les atrocités commises tous les jours en Syrie ». Sans surprise, la Russie et la Chine ont opposé leur veto à cette résolution.
Depuis, plus rien, si ce n’est une avancée sur le plan humanitaire. Le 14 juillet 2014, le Conseil de sécurité a voté à l’unanimité une résolution sur l’acheminement de l’aide en Syrie, en complément de celles déjà adoptées sur lesquelles Damas s’était assis empêchant toute distribution dans les zones contrôlées par les forces rebelles. La « 2165 (2014) », saluée comme une « percée diplomatique » par une coalition d’ONG, autorise les agences humanitaires des Nations unies et leurs partenaires à utiliser les routes traversant les lignes de conflit ainsi que les postes frontières de Bab el-Salam et Bab el-Haoua (Turquie), Yaroubiyé (Irak) et Ramtha (Jordanie), sans l’accord du pouvoir syrien. Cette autorisation de passage transfrontalier a été prolongée fin décembre pendant une période d’un an.

Steffan de Mistura, l’envoyé spécial de l’ONU en Syrie qui a succédé à Lakhdar Brahimi, se démène depuis fin octobre 2014 pour obtenir « un gel » des combats à Alep qui opposent les groupes armés rebelles et l’armée syrienne, alors que l’État islamique n’est qu’à une trentaine de kilomètres de la ville. Ce premier pas permettrait, selon lui, de remettre en selle une dynamique politique, qui pourrait ensuite s’étendre à d’autres zones.
Le 15 janvier à Genève, dans une conférence de presse, Mistura a reconnu que le blocage était pour l’instant total, dû à « des années de manque de confiance d’un côté ou de l’autre ». « (…) l’ONU fait (pourtant) une proposition tellement simple, tellement nette, tellement transparente, en disant simplement que la ville d’Alep doit au moins voir un arrêt des grands combats, des bombardements d’un côté et de l’autre, car tous les deux utilisent des tirs de mortiers et des barils chargés de TNT », disait-il, estimant que cela pourrait donner «l’opportunité aux Syriens mais aussi à la communauté internationale de croire (…) que la solution politique est la seule ».
Pour défendre son plan sur Alep, l’envoyé spécial s’est rendu début décembre à Istanbul pour y rencontrer une délégation d’opposants syriens menée par le président de la coalition nationale de Syrie, Hadi al-Bahra. Il s’est aussi entretenu à deux reprises avec Bachar al-Assad. « J’ai pu voir à quel point il était lui-même concerné par cette nouvelle menace du terrorisme, en particulier celle de l’EI/Daech », a précisé Mistura.
Moscou reprend l’initiative
Les regards se tournent désormais vers Moscou. Profitant de la paralysie de la communauté internationale et de l’ONU, à laquelle ils ont largement contribué, les Russes organisent du lundi 26 au mercredi 29 janvier des négociations inter-syriennes « confidentielles », en dehors de tout cadre multilatéral. Après quelques semaines d’hésitations, Steffan de Mistura, qui a été tenu à l’écart, a annoncé qu’il s’y rendrait. En novembre dernier des rencontres avaient déjà eu lieu à Moscou avec un groupe d’opposants civils et militaires syriens – dont Mouaz al-Khatib, réfugié au Qatar et ancien président de la Coalition nationale syrienne (CNS) – puis avec une délégation du régime de Damas conduite par le chef de la diplomatie Walid Mouallem, comme le rapporte Le Temps.

Sergeï Lavrov, le chef de la diplomatie russe, a déjà donné le ton en rappelant que la priorité était de combattre l’État islamique et non d’exiger le départ de Bachar al-Assad. « Le principal est, et cette conviction gagne du terrain y compris en Occident, que le processus politique est inévitable, et que la tâche première consiste à combattre l’État islamique. Or, nous avons toujours souligné qu’il était beaucoup plus important d’éradiquer le terrorisme, d’empêcher la transformation de la Syrie en État terroriste et de contrecarrer les plans visant à créer un califat dans la région que de changer de régime et de former un organe quelconque pourvu qu’Assad parte », vient-il d’expliquer.
Bachar al-Assad, lui, se frotte les mains : « Si nous nous rendons en Russie, ce n’est pas pour entamer un dialogue mais pour rencontrer les différentes personnalités et discuter de l’unité nationale, de la dissolution des organisations terroristes, du soutien à l’armée et de la lutte contre le terrorisme », déclarait-il récemment à un journal tchèque, ajoutant que « la politique russe vise à soutenir la lutte que la Syrie mène contre le terrorisme, ce qui est très important ».
En attendant, la machine onusienne poursuit son travail de documentation et de dénonciation des crimes commis. À Genève, les dossiers s’empilent : huit rapports de la Commission d’enquête indépendante de Paulo Pinheiro ; dix-huit résolutions du Conseil des droits de l’homme, toutes adoptées par vote et qui n’ont aucun pouvoir coercitif. « Il y a une très grande lassitude, mais il serait catastrophique que le Conseil des droits de l’homme se dessaisisse de la question », estime Nicolas Agostini de la FIDH. Face aux insurmontables blocages du Conseil de sécurité à New York, l’organe onusien basé à Genève (47 États membres de l’ONU qui se succèdent à tour de rôle) continue à jouer son rôle. « Il faut continuer à utiliser cette enceinte pour montrer l’isolement de la Russie et de la Chine qui, à New York, sont contre la saisine de la Cour pénale internationale (CPI) et souligner ainsi la non-représentativité du Conseil de sécurité », explique l’humanitaire.
La dernière résolution du CDH, fin septembre, « sur la détérioration grave et continue de la situation des droits de l’homme et de la situation humanitaire en République arabe syrienne » a été adoptée à 32 voix. Cinq pays ont voté contre : Russie, Chine, Algérie, Cuba et Venezuela. Dix États se sont abstenus. Elle enjoint les autorités syriennes de « coopérer pleinement avec la commission d’enquête internationale indépendante, en lui accordant un accès immédiat, total et sans entrave à l’ensemble du territoire ». Elle exige que Damas mette fin à la détention au secret et publie une liste de tous les lieux de détention, et elle condamne également les atrocités commises par les groupes armés non étatiques. En juin, la précédente résolution, quasiment identique, avait abouti au même score. « Sur la question syrienne, il est important de travailler à l’isolement de la Russie. Moscou qui veut incarner une vision du monde n’y a pas intérêt, car elle risque de perdre une part de sa légitimité », explique Philippe Dam de l’ONG Human Rights Watch (HRW). Il constate qu’à Genève des poids lourds comme l’Afrique du Sud et le Brésil, qui autrefois votaient dans le camp de la Russie, soutiennent désormais les initiatives sur la Syrie.
En mars prochain, le Conseil des droits de l’homme doit renouveler le mandat de lacommission d’enquête indépendante sur la Syrie dont les membres sont toujours interdits d’entrer en Syrie. Le macabre travail de compilation continue. À la mi-novembre, le dernier rapport – « Règne de la terreur : vivre sous l’État islamique (EI) en Syrie » – a détaillé les atrocités commises dans les régions du nord-est de la Syrie sous contrôle de l’EI et l’impact que cela a sur la vie civile. Quelque 300 témoins ou victimes ont été interviewés dans les camps en Turquie, au Liban et en Jordanie. Le rapport souligne que les exécutions sommaires publiques de civils par balles, décapitations et lapidations, ainsi que les flagellations, et les amputations, sont devenues un « spectacle ordinaire », de même que les corps abandonnés plusieurs jours sur des « crucifix » dans plusieurs villes. Les violences faites aux femmes et aux enfants qui sont enrôlés dans les rangs de l’EI sont également rapportées.
Le précédent rapport, en août 2014, basé sur 480 entretiens menés entre le 20 janvier et le 15 juillet 2014, avait présenté un tableau exhaustif « des souffrances incommensurables que la conduite des belligérants a fait subir à la population civile en République arabe syrienne », pointant cette fois-ci les forces gouvernementales syriennes qui continuent « à perpétrer des massacres et lancer des attaques généralisées contre des civils, se livrant systématiquement à des meurtres, des actes de tortures, des viols et des disparitions forcées constitutifs de crimes contre l’humanité ».

Pour les ONG, les travaux de la commission souffrent d’un manque de visibilité. « On a d’un côté ces rapports qui empilent les chiffres et les faits à partir d’interviews réalisées en privé, et de l’autre les abominables vidéos d’exécutions de groupes extrémistes qui circulent sur You Tube, mais pas assez de perspectives humaines », regrette un activiste qui aimerait que Paulo Pinheiro prenne exemple sur les travaux de la Commission d’enquête sur la Corée du Nord, menée de main de maître par Michael Kirby. Ce juriste australien n’a pas hésité à organiser des auditions publiques de rescapés nord-coréens, donnant ainsi une vision beaucoup plus personnelle des souffrances du peuple. « Il faut maintenant une réponse en matière de justice internationale et pas seulement se placer dans une optique de documentations des crimes », ajoute aussi Philippe Dam de HRW.
Quant aux agences humanitaire onusiennes, elles poursuivent leur travail de terrain sans aucune perspective d’amélioration. À la mi-décembre, les Nations unies et leurs partenaires ont lancé un appel de 8,4 milliards de dollars pour venir au secours de 18 millions de personnes en Syrie et dans la région en 2015, dont 12 millions de personnes déplacées et touchées à l’intérieur du pays et bientôt 4,7 millions de réfugiés principalement installés dans les pays voisins, selon les projections, à la fin de cette année. Seule la moitié de cette somme devait être pourvue.
« Les capacités des organisations humanitaires sont largement dépassées par l’envergure de cette méga-crise. Pour que la situation se débloque, il faudrait toute une série de changements politiques et géopolitiques. C’est devenu d’une telle complexité ! » reconnaît un humanitaire. À Genève, dans les points de presse bihebdomadaires souvent peu suivis, les agences onusiennes égrènent depuis plusieurs années les différentes actions menées en Syrie : une succession de chiffres et d’informations toujours plus alarmants. En première ligne, le Haut-commissariat aux réfugiés (HCR) – les Syriens étant désormais devenus le deuxième plus important contingent de réfugiés après les Palestiniens – qui, depuis le début de la crise, exhorte régulièrement les pays riches à prendre leur part du désastre. « Plus de 80 % des réfugiés syriens sont dans des pays en voie de développement. Seuls 185 000 ont été accueillis en Europe, soit 5 % du total actuel. Il ne faut pas que les pays pauvres soient les seuls à en payer le prix », explique la haut-commissaire aux réfugiés, Melissa Fleming.
date : 26/01/2015