Syrie, la folie d’une dynastie – par Alexandra Basset

Article  •  Publié sur Souria Houria le 23 novembre 2013

Compte-tenu de la difficile couverture du conflit syrien par les journalistes, le régime de Damas a de fait un monopole sur le traitement de l’information qu’il diffuse à travers tout un réseau de propagande sur Internet, y compris en France à travers des sites d’extrême-droite (Alterinfo, Agoravox, Atlantico, Egalité et réconciliation, réseau Voltaire, les sites anti-Nouvel ordre mondial, InfoSyrie, etc.). Bachar El-Assad a d’ailleurs reçu des figures de l’extrême à plusieurs reprises, des photos officielles désormais connues l’attestent. D’un point de vue purement idéologique, on comprend l’attachement de l’extrême-droite pour ce type de régimes anti-démocratiques et conservateurs, qui excellent dans l’art des intrigues à la cour. Quelques rappels sur ce régime dynastique semblent donc nécessaires.

 

Le contrôle alaouite de la politique et des institutions

La Syrie n’a plus connu d’élection démocratique depuis l’arrivée au pouvoir du parti Baas, en 1963, ayant mis fin à une période d’instabilité politique et de coups d’Etat militaires. Ce parti dominé par la minorité alaouite a une très large majorité de sièges au parlement, les autres sièges étant occupés par des députés indépendants et par des membres du Front national progressiste, un groupement de partis politiques syriens (parti socialiste, parti communiste, mouvement socialiste arabe…) créé par Hafez el-Assad en 1972 pour donner l’illusion d’un système multipartiste, selon les modèles est-allemand et polonais de l’époque. Il s’agit d’une caisse de résonance de la société où les préoccupations économiques et politiques sont discutées. Néanmoins, la mainmise du parti Baas sur cette formation limite sa fonction et les débats sont bien contrôlés par l’appareil du parti. Voilà comment l’opposition est muselée dans les systèmes autoritaires, en proposant une coalition et en contrôlant les échanges en son sein. On notera d’ailleurs, tradition non-démocratique oblige, que le ministre russe des Affaires étrangères a récemment déclaré que la Russie souhaite la mise sur pied d’une plate-forme réunissant tous les opposants syriens pour Genève 2 (source L’Orient-Le jour, 20 novembre 2013). Il a également rappelé que « l’opposition n’a toujours pas formé de délégation qui représente l’ensemble de la société syrienne ». Le fait d’envisager les opposants politiques comme un tout global, en les réunissant dans un bloc unique et uniforme montre bien les limites que ces régimes entendent imposer au pluralisme.

Dans un contexte de révolte contre le gouvernement, le parlement syrien a voté, le 25 juillet 2011, une loi autorisant l’existence de partis d’opposition sous diverses conditions. Une démarche visiblement trop tardive et limitée, les manifestations populaires et rébellions armées n’ayant pas cessé par la suite. En effet, cette loi ne met pas fin au système et permet à la dynastie Assad et au clan alaouite exerçant son contrôle sur toutes les institutions de l’Etat, en particulier l’armée, de garder sa mainmise sur la politique et l’économie.

 

Une économie et un budget d’Etat sclérosés par le clan

Les richesses produites par la Syrie sont essentiellement basées sur l’agriculture (représentant environ 30% du PNB et 25% de la population), avec une production industrielle peu développée essentiellement étatique (environ 10% du PNB et 20% de la population active). S’agissant de ses échanges extérieurs avec les partenaires commerciaux, le pays dépend particulièrement de pays comme l’Irak, l’Arabie Saoudite, le Liban, l’Egypte, la Russie et l’Iran. Les réserves pétrolières et de gaz syriennes sont peu significatives et sont contrôlées par le ministère du Pétrole et des Ressources minières placé entre les mains du clan el-Assad.  Celui-ci dispose, par ailleurs, d’un monopole sur les services de type téléphonie mobile. Le gaz naturel syrien est réintroduit dans le circuit domestique et sert à alimenter principalement les champs pétroliers et les centrales électriques. La forte consommation interne de ce pays l’oblige, en outre, à importer du gaz depuis l’Egypte. La richesse essentielle de la Syrie repose en fait sur son réseau de gazoducs et de pipelines servant à la circulation de ces matières premières entre les Etats voisins. Ce réseau construit à l’origine dans la perspective d’une politique panarabe, notamment avec l’Irak et l’Egypte, est générateur de redevances et permet ainsi à la Syrie de jouer la carte d’un pays transitaire en offrant un débouché au pétrole irakien, saoudien et autres pays du Golfe, rapprochant ainsi ces zones de production majeures de leurs marchés. Le fait de se placer au centre de la répartition de ces ressources a souvent été instrumentalisé par le clan el-Assad pour mener à bien sa politique vis-à-vis des Etats voisins.

L’histoire moderne de la Syrie est marquée par des relations ambivalentes avec l’Egypte, l’Irak et les monarchies du Golfe, à la fois alliés et rivaux. Et selon les époques, la situation politique et le contexte international, elle a reçu nombreuses subventions de la part de ces régimes, y compris de la part de l’Iran avec qui la Syrie entretient de bonnes relations depuis les années 80, à l’origine pour faire face à la puissance irakienne. Ces subventions servent à alimenter le budget de l’Etat consacré aux dépenses militaires, sachant que depuis la fin des guerres israélo-arabes et le retrait des troupes syriennes du Liban, l’armée n’a plus qu’une fonction d’appareil répressif à l’intérieur du pays.

 

Du double discours aux mensonges : la folie d’un régime

L’importance du budget militaire est justifié par le parti Baas à travers son discours complotiste. Déjà Hafez s’accrochait à la thèse du « complot impérialiste » contre la Syrie tout en veillant à un meilleur fonctionnement de la machine répressive à l’intérieur du pays. Aujourd’hui, le prétexte de la rébellion syrienne que le régime fait abusivement passer pour du terrorisme impérialiste et ce, alors même que les Frères musulmans sont depuis longtemps implantés en Syrie et que les syriens sunnites appartenant à ce réseau sont les ennemis historiques du parti Baas avec les forces de gauche, permet de légitimer des dépenses militaires somptueuses et de renflouer les réseaux mafieux internationaux spécialisés dans les trafics d’armes et de drogues. Le pouvoir de Damas qui contrôle l’appareil étatique libanais jusque dans le choix de la présidence, n’est d’ailleurs pas étranger aux milieux de la lebanese connexion dont les trafics de drogue ont permis d’alimenter les factions armées durant la guerre civile au Liban « stabilisée » par la Syrie, et alimentent depuis d’autres conflits. Autre exemple, une affaire comme celle des contras au Nicaragua aura permis de faire clairement les liens à l’international entre les réseaux d’extrême-droite agissant au sein même de l’Etat à travers leurs représentants, les régimes autoritaires et la mafia. D’ailleurs à regarder de plus près la structure de régimes autoritaires comme la Syrie, on se rend compte qu’ils comportent des aspects mafieux : un petit clan qui impose sa loi à travers un jeu d’alliances, de favoritisme, de flatteries mais aussi de désorganisation, de répression et d’activités illicites. Ce phénomène se constate en Syrie tant sur le plan interne qu’externe. La mainmise du régime sur le Liban est toujours d’actualité malgré le retrait des troupes syriennes après 30 ans d’occupation. Les assassinats politiques comme celui de Rafic Hariri qui fait l’objet d’une enquête internationale, sont encore monnaie courante.

Le double discours, quasi schizophrénique, du clan el-Assad ne se manifeste pas seulement à travers le duo : complot étranger contre la Syrie et pourtant répression du peuple syrien. On le retrouve également à travers sa position anti-impérialiste alors même que la Syrie, on l’aura vu avec l’exemple libanais, a toujours imposé sa vision dans la région à travers sa domination, la fomentation d’attentats en dehors de ses frontières et le soutien matériel d’organisations étrangères comme le Hezbollah et le Hamas. Bachar critique l’impérialisme occidental alors même que les Etats-Unis ou la France ont été des alliés dans d’autres circonstances. On a vu Sarkozy recevoir Bachar el-Assad pour le 14 juillet. On sait également qu’el-Assad a participé au programme américain de sous-traitance de la torture, les « extroardinay rendition », en accueillant des « terroristes » présumés sur son territoire. Ce programme est tout de même le nec plus ultra des pratiques impérialistes. Autre fait : Damas se plaint de la présence de Frères musulmans et djihadistes étrangers alors que, pourtant, les déplacements de miliciens du Hezbollah en Syrie ne dérangent aucunement… Que dire également du discours du clan el-Assad concernant la question palestinienne ? Officiellement, il s’agit de compatir vis-à-vis des « frères palestiniens », officieusement, les palestiniens vivent en Syrie dans des bidonvilles, n’ont pas accès à la nationalité syrienne et la lutte palestinienne menée historiquement par l’OLP d’Arafat a été empêchée par le régime alaouite. D’ailleurs le panarabisme syrien habituellement prôné en apparence a toujours été contrecarré dans les faits, qu’il s’agisse des relations avec l’Egypte de Nasser et l’Irak de Hussein. Et les armes chimiques ? La Syrie a toujours officiellement nié en avoir mais voilà que des tractations ont lieu avec la Russie pour que le régime livre ces armes afin de permettre leur destruction…

 

La crise syrienne, avec le nombre considérable de victimes civiles et la crise humanitaire qui sont à déplorer, est encore l’occasion de constater la folie de ce régime clanique qui manipule, ment, enferme, tue et torture massivement sa population dans le seul but de se maintenir au pouvoir. On assiste symboliquement à la négation du réel et à l’écrasement de l’Autre, comportement propre aux structures perverses et narcissiques. Le régime el-Assad est une pure folie fondée sur le sacrifice d’une population pour une chimère : un désir de toute puissance. A l’époque d’Hafez, quand son fils ainé était encore vivant, l’opposition syro-libanaise appelait ironiquement Hafez et ses deux fils « la Sainte Trinité ». Les choses ont peu changé depuis. Les frères musulmans durement réprimés à Hama sont toujours là, la gauche syrienne également. L’opposition gronde, les idées circulent, le peuple syrien restera et survivra au délire de ce régime. Autre point, la situation au Moyen-Orient depuis la chute de l’empire ottoman et les indépendances montre combien la démocratie est un processus long et difficile, surtout quand les acteurs dominant la région y mettent de la mauvaise volonté pour rester roitelets dans leurs fiefs et protéger les privilèges de leur clan. Pour expliquer cette crise, point besoin d’aller jeter spécialement la pierre sur le monde occidental : les chefs locaux, la violence et l’extrêmisme suffisent. En France, au sortir des révolutions de 1789, il aura fallu attendre plus de 100 ans en traversant crises et révoltes, avant d’avoir une république démocratique digne de ce nom et encore, rien n’est acquis, la démocratie connait aussi ses crises et ses limites… courage au peuple syrien !

date : 22/11/2013