Syrie : la France soupçonne une «manipulation» – par Philippe Gelie

Article  •  Publié sur Souria Houria le 13 janvier 2012

La mort de Gilles Jacquier pourrait impliquer les autorités, seules informées de la visite du groupe de journalistes.

La mort du grand reporter de France 2 Gilles Jacquier, touché par un tir d’obus mercredi à Homs, relève-t-elle tristement des aléas de la guerre?

Si Nicolas Sarkozy a demandé avec fermeté, dès mercredi soir, que les autorités syriennes «fassent toute la lumière», c’est parce que le rôle du régime de Bachar el-Assad dans cette affaire alimente le soupçon. «Nous penchons pour une manipulation», indique une source proche du président français, tout en soulignant qu’il n’existe pas de «preuve» à ce stade.

«Les responsables syriens étaient seuls à savoir qu’un groupe de journalistes occidentaux visitait Homs ce jour-là, et dans quel quartier il se trouvait», observe-t-on à l’Élysée. Le faubourg de Nouzha est essentiellement habité par la communauté alaouite, minorité à laquelle appartient le président Assad – et très largement dévouée à sa cause.

Les tirs qui ont tué Gilles Jacquier ont aussi fait une demi-douzaine de morts dans une petite manifestation pro-Assad formée à l’occasion de la visite des journalistes. Cette visite était non seulement autorisée – fait très exceptionnel -, mais étroitement encadrée par le régime, cantonnée aux zones sous son contrôle total. Le reporter de France 2 s’était plaint le matin même, après avoir été empêché de filmer dans certaines rues de Damas, d’être otage d’une «opération de propagande».

L’opération de propagande a-t-elle mal tourné ou a-t-elle été exploitée au-delà de tout cynisme? «On peut croire à un malheureux accident, dit-on à Paris. Mais il tombe plutôt bien pour un régime qui cherche à décourager les journalistes étrangers et à diaboliser la rébellion.» Le gouverneur de Homs a promis jeudi soir une commission d’enquête sur cette «attaque terroriste», préjugeant ainsi de son résultat.

«Une opération militaire »

Des obus auraient déjà frappé des quartiers alaouites de Homs ces dernières semaines, faisant des victimes. Reste que les compagnons de voyage de Gilles Jacquier ont spontanément évoqué «une opération militaire», à l’instar du reporter de CNN Nick Robertson, certains allant jusqu’à estimer qu’ils en étaient la cible.

Après le drame, sa compagne, la photographe Caroline Poiron, qui l’accompagnait, a refusé de remettre son corps aux services de renseignements syriens. Elle a attendu l’arrivée à Homs de l’ambassadeur de France, Éric Chevallier. Elle a consenti à ce qu’une autopsie «limitée» soit pratiquée à Damas sur le corps du journaliste, dont Paris préparait hier le rapatriement. Un examen médico-légal sérieux pourrait permettre d’identifier la nature du projectile qui l’a atteint, jetant quelque lumière sur l’origine des tirs: si les insurgés sont connus pour utiliser des lance-roquettes RPG, il n’est pas avéré qu’ils possèdent ou sachent se servir de mortiers au point de pouvoir concentrer quatre obus sur la même cible.

La France juge aussi cet épisode à l’aune des efforts de Damas pour manipuler les observateurs de la Ligue arabe, qui ont poussé deux d’entre eux à démissionner. Tout en mesurant les lacunes de cette première mission, Paris souhaite qu’elle soit prolongée et renforcée par des observateurs de l’ONU plus expérimentés. Mais les responsables français ne se font guère d’illusions: dans deux discours mis en scène en début de semaine, Bachar el-Assad s’est illustré par «un cynisme affiché et un autisme assumé», dit un proche du chef de l’État, qui n’y voit pas la promesse d’un arrêt des massacres.

source: http://www.lefigaro.fr/international/2012/01/12/01003-20120112ARTFIG00687-syrie-la-france-soupconne-une-manipulation.php