Syrie: «La nouvelle stratégie du régime, c’est d’affamer la population» – Par Aabla Jounaïdi
Affamer la population est-elle la nouvelle stratégie de Bachar el-Assad pour gagner la guerre en Syrie ? C’est en tout cas ce que pensent des membres de l’Institut de recherche et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (IREMMO) et de la revue Confluences Méditerranée. Ces chercheurs et experts cosignent une tribune dans le quotidien Libération pour dénoncer cette nouvelle forme que prend le conflit syrien. Selon Agnès Levallois, spécialiste du Moyen-Orient et signataire du texte, affamer les populations dans les zones contrôlées par les rebelles est bien une stratégie nouvelle de l’armée loyaliste.
RFI: Vous décrivez l’affamement de la population comme une stratégie nouvelle du régime.
Agnès Levallois : Au départ, le régime s’attaquait aux groupes rebelles, à l’opposition. Mais face à la difficulté de l’armée à reprendre certaines positions, différentes stratégies se sont peu à peu mises en place. On a vu l’usage des armes chimiques d’abord. Face à la réprobation internationale, le régime a arrêté cela. Aujourd’hui, il est en train d’utiliser une autre arme qui est beaucoup plus « discrète », si j’ose dire.
Elle consiste à empêcher l’acheminement des vivres dans les régions qui sont sous le contrôle des rebelles. C’est un moyen de dissuader les Syriens de rejoindre l’opposition ou de rester dans le camp de l’opposition et de rallier le régime. C’est une façon pour le régime de dire à la population : « Vous voyez bien que vous n’avez rien à gagner à rester du côté de l’opposition. Rejoignez le régime qui, lui, vous permettra de vous nourrir ! »
Vous donnez des exemples précis, notamment celui de Yarmouk (1), réputé pour abriter un camp de réfugiés palestiniens dans le sud de Damas.
Là-bas, on a une population qui a déjà été traumatisée par l’exil et qui se retrouve à nouveau dans une situation de réfugiés. Le régime y bloque l’accès au camp et l’acheminement de vivres et de médicaments. La population est coincée, obligeant certains à essayer de fuir en sachant très bien qu’il sera très difficile pour eux de revenir.
Vous dites qu’indirectement, la communauté internationale participe à l’application de cette stratégie ou, du moins, ne fait rien pour la contrer.
La population syrienne nous semble être la grande oubliée de ce conflit, car il n’est pratiquement plus vu que sous l’angle des rapports de force régionaux et internationaux. On assiste à un phénomène très pervers depuis quelques mois.
Certes, il y a eu un sursaut d’intérêt de la part de la communauté internationale après l’utilisation des armes chimiques. C’est une très bonne chose car des mesures ont été prises pour détruire l’arsenal chimique. Mais cela s’est fait au détriment de tout le reste, à savoir que l’on ferme les yeux sur le fait qu’il y a eu 120 000 à 150 000 morts dus à des armes conventionnelles et non pas chimiques.
On détourne aujourd’hui le regard de ces autres armes car l’objectif est devenu les armes chimiques et la reprise du processus politique. On voit bien la stratégie de Bachar el-Assad : gagner du temps, sa stratégie depuis le début. Et elle va finir par être payante pour lui.
(1) Avant le début de ces affrontements sur le camp près de 200 000 Palestiniens vivaient dans ce camp. Ils sont aujourd’hui dix fois moins nombreux, vivant dans des conditions particulièrement dégradées.
■ TEMOIGNAGE : A Yarmouk, « nous n’avons plus de quoi manger depuis le Ramadan »
Noureddine Abou Yasser, un résidant de Yarmouk, décrit pour RFI la situation du camp assiégé et affamé par les hommes de Bachar al Assad.
« Nous subissons de violents bombardements ici dans le camp. Il y a également de nombreux accrochages. Ils ont lieu aux alentours des principales rues de Yarmouk. A cause de ces accrochages, nous n’avons plus de quoi manger. Les denrées alimentaires ne parviennent plus jusqu’à nous.
Il n’y a plus ne serait-ce qu’une tomate dans tout le camp. Nous vivons dans cette situation depuis le mois de ramadan, c’est-à-dire depuis quatre mois et demi. Nous sommes encerclés par des les membres du Front Populaire pour la libération de la Palestine – allié du régime syrien. Ils ne laissent personne quitter le camp.
L’OLP tente de nous obtenir la fin de ce siège sans succès pour le moment. Mardi des caravanes humanitaires sont venues nous apporter des aides. Mais les autorités ne les ont autorisées à entrer dans le camp ».
Propos recueillis par Sami Boukhelifa