Syrie : la « rose du désert » a perdu ses pétales – Par Michel Colomès

Article  •  Publié sur Souria Houria le 16 janvier 2012

Asma el-Assad, la femme du chef de l’État syrien, née et élevée en Grande-Bretagne, un temps l’espoir des démocrates, semble avoir choisi le parti de son mari.

Sur la photo, elle a de faux airs de Miou-Miou. Un visage lisse, fragile, et des yeux qui interrogent, un peu apeurés, semble-t-il. Par quoi ? Par qui ? On ne l’avait pas vue depuis plusieurs mois. Asma el-Assad, la femme du président syrien, a réapparu à un meeting de son mari le mercredi 11 janvier. Un bonnet de laine sur la tête, les bras entourant, comme pour les protéger, ses deux enfants, Karim le garçon et Zein sa petite fille aux longs cheveux noirs. Tous trois ont dû supporter un discours de deux heures au cours duquel Bachar el-Assad a, une fois de plus, expliqué que tous les ennuis de la Syrie venaient de l’étranger et que lui, en tout cas, n’avait rien à se reprocher en matière de droits de l’homme…

Le jour même, un journaliste français de télévision, Gilles Jacquier, a été tué par un obus de mortier dans des circonstances sur lesquelles le gouvernement et la justice française voudraient faire la lumière. Car les séides de Bachar el-Assad, sous la protection desquels était l’équipe de France 2, auraient parfaitement pu monter un piège. Pour montrer l’irresponsabilité de ceux qui combattent le régime et n’hésitent pas à tirer sur des civils. Tuant et blessant au passage quelques observateurs étrangers, sans compter une demi-douzaine de Syriens. Mais Bachar el-Assad évidemment n’y est pour rien et pourra réaffirmer sans sourciller dans son prochain discours que lui au moins n’a pas de sang sur les mains.

Princesse Diana

Ses opposants ont longtemps espéré qu’Asma, son épouse de 36 ans, dont il est, paraît-il, éperdument amoureux, pourrait amener un peu de modération dans l’attitude du maître du régime à leur égard. Née à Acton, dans la banlieue de Londres, elle est la fille d’un cardiologue originaire de Homs. Diplômée en informatique et en littérature française, elle a fait ses études au King’s College de Londres, puis a travaillé quelque temps pour la banque J.P. Morgan. C’est à cette époque qu’elle a fait la connaissance de Bachar. Il préparait un doctorat en ophtalmologie et n’était pas destiné à prendre en main les affaires de son pays jusqu’à la disparition de son frère Bassel, héritier désigné du père, Hafez el-Assad, dans un accident de voiture. Aurait-elle poursuivi cette idylle si elle avait su ce qui l’attendait ?

Car, avec la mort du successeur du dictateur syrien, c’est, pour Asma, la fin de la love story loin des tracas de la vie publique. Certes, Asma, un peu comme la reine Rania de Jordanie, ne correspond pas à l’image classique des femmes de satrapes arabes. Elle voyage beaucoup, soutient des associations humanitaires, milite ardemment pour la cause des femmes, participe en français à un colloque à Paris sur l’évolution de la Syrie, et dit à qui veut l’entendre que son modèle est la princesse Diana. En dix ans, elle fait plus pour redorer le blason de son pays que son mari que l’on dit timide et velléitaire. Au printemps 2011, le magazine Vogue lui consacre une couverture et un dossier dans lequel on ne tarit pas d’éloges sur celle que l’auteur baptise « la rose du désert ».

« Totalement paralysée »

Mais les révolutions, dites du Printemps arabe, viennent d’éclater. La Syrie à son tour est touchée. Et à la différence de Ben Ali ou de Moubarak, Bachar el-Assad, que l’on disait effacé et hésitant, fait tirer sur les manifestants, comme l’avait fait son père pour mater en 1976 une révolte à Hama, au prix de 15 000 à 20 000 morts. En dépit de l’opprobre international, des remontrances de la Ligue arabe, des sanctions prises contre Damas, cette répression est toujours aussi sanglante. Et ne faiblit pas.

Or, la gentille Asma, dont certains disaient qu’elle était tellement mal à l’aise avec la politique menée par son mari qu’elle en avait quitté le pays, vient donc de réapparaître. Avant de participer aux côtés de ses enfants à ce meeting de soutien du 11 janvier, elle avait, quelques jours plus tôt, accepté à la demande d’un groupe d’humanitaires de rencontrer des témoins et des victimes des exactions commises par la police et l’armée syriennes. Non seulement elle n’a pas réagi, selon un témoin de la scène, mais elle a même paru indifférente au sort des manifestants. « Elle est maintenant totalement paralysée, explique le directeur du Conseil pour l’entente arabo-britannique. Le régime ne lui laissera jamais la possibilité d’exprimer le moindre désaccord, ni même de quitter le pays. »

La dernière chance d’échapper à la guerre civile en Syrie vient peut-être de disparaître depuis que la « rose du désert » a perdu les pétales d’espoir que l’Occident avait cru déceler en elle.

source: http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/michel-colomes/syrie-la-rose-du-desert-a-perdu-ses-petales-15-01-2012-1419382_55.php