Syrie: l’arme de la faim – Par Catherine Gouëset
Plusieurs villes et quartiers aux mains de l’opposition sont assiégés et volontairement affamés par le régime de Bachar el-Assad. L’objectif est de punir et de briser toute velleité de résistance.
L’imagination du clan Assad pour mater les Syriens réfractaires à sa domination est sans borne. Après les roquettes, les missiles, les bombes aérosol ou incendiaires, les armes chimiques, il emploie désormais l’arme de la faim.
Plusieurs zones rebelles ou quartiers assiégés sont en proie à la pénurie d’aliments mais aussi de médicaments. La ville de Mouadamiya, dans la Ghouta, le camp de Yarmouk, ainsi que les quartiers de Homs aux mains des insurgés sont asphyxiés et par les forces armées syriennes.
Ces pénuries ne sont pas un effet secondaire du conflit. « Elles sont sciemment organisées par le régime pour épuiser la population. Il s’agit de ‘l’affamer et la mettre à genoux’ selon l’expression consacrée », explique Ziad Majed, politologue spécialiste de la Syrie.
Quatre mois de siège au camp de Yarmouk
Assiégé depuis l’hiver dernier, le camp palestinien de Yarmouk, dans le sud de Damas, est soumis à un blocus depuis plus de quatre mois. Celui-ci interdit aux « civils à l’extérieur et à l’intérieur du camp de s’approcher du barrage situé à l’entrée du camp », alertait déjà cet été un appel rédigé par des associations palestiniennes de Syrie. La situation n’a fait que s’aggraver depuis.
« Les convois humanitaires, de nourriture ou de médicaments sont interceptés. Quand des femmes essaient de rentrer à Yarmouk, elles sont arrêtées, fouillées, et si elles acheminent des denrées alimentaires, celles-ci sont confisquées », précise Ziad Majed.
Du demi-million d’habitants qu’abritait le camp avant le début de l’assaut du régime il y a un an, beaucoup ont fui. Mais il resterait encore environ 50 000 civils piégés dans ce réduit, selon des chercheurs de l’Institut de recherche et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient. A Homs, près de 5000 personnes seraient isolées dans la vieille ville d’après ces même chercheurs.
Aux pénuries s’ajoutent les bombardements
A Mouadamiya, l’une des villes de la Ghouta, la banlieue de Damas, frappée par l’attaque chimique du 21 aout, quelque 12 000 personnes étaient assiégées en septembre dernier, selon le Centre de documentation sur les violations en Syrie. La Croix rouge internationale et le Croissant rouge syrien ont évacué 3000 civils en octobre -enfants, femmes et hommes âgés- de Mouadamiya. Les humanitaires n’ont pas pu cependant y entrer pour évacuer les blessés. « Il y en a beaucoup plus, y compris des enfants, qui restent à l’intérieur de la ville », selon Magne Barth, chef de la délégation du CICR. Et les évacués ne sont pas sortis d’affaire. Beaucoup ont échoué à Qudsayya, selon un reporter de l’agence Reuters, une ville que les forces du régime ont à son tour commencé à assiéger.
Dans la Ghouta, « tout le monde plante des graines dans les jardins ou en bord de route », témoignait un jeune homme, joint par l’AFP via Skype en octobre. Cette ceinture semi-rurale qui entoure Damas, s’en sortait tant bien que mal ces derniers mois parce que les habitants disposaient de jardins, d’un peu de bétail et de quelques volailles leur permettant de tenir. Mais ces réserves s’épuisent. En outre, la récolte est dangereuse. Des personnes ont été tuées dans leur verger par les obus. Parce qu’aux pénuries s’ajoutent les bombardements quotidiens de l’artillerie du régime. « Les raids aériens se sont multipliés ces derniers temps, souligne Ziad Majed. On parle d’une dizaine de raids par jour. »
Des cas de populations se résignant à manger des chiens et des chats pour faire face à la famine ont été avancés. Difficile de savoir le vrai du faux, mais un cheikh, Saleh al-Khatib, a affirmé à l’AFP avoir « lancé une fatwa autorisant les gens à manger de la viande de chats et de chiens, non pas parce que c’est halal (permis) mais parce que la réalité nous l’impose. »
Fin août, l’OSDH a fait état du décès de deux enfants, atteints de « marasme nutritionnel », une maladie qui touche les personnes ayant des carences alimentaires. Des vidéos montrant des enfants vraisemblablement atteints de malnutrition ont circulé sur internet.
Le siège est durci par le régime
Le calvaire des habitants des quartiers assiégés peut encore s’aggraver si l’essence vient à manquer, prévient Ziad Majed. Depuis plusieurs mois, le régime a coupé l’approvisionnement en eau et en électricité, mais également le téléphone et l’internet. Les habitants ont recours à des générateurs et à des pompes à moteur. Les dispensaires et hôpitaux de la périphérie de la capitale se retrouveraient sans électricité en cas de pénurie de carburant. Même problème pour la communication avec l’extérieur, qui se fait par satellite; là encore, impossible sans électricité.
Le régime a durci le siège de ces bastions de l’opposition ces dernières semaines, profitant du relâchement de l’attention internationale depuis l’accord sur le démantèlement de son arsenal chimique.
Pour le pouvoir, ces secteurs de la banlieue de Damas sont stratégiques. « Il s’agit d’empêcher une jonction des environs de la capitale avec le sud. Le régime a reçu l’appui de combattants irakiens et du Hezbollah libanais », explique Ziad Majed.
Les demandes de l’ONU de laisser passer des convois humanitaires vers ces zones assiégées n’ont pas été entendues. Selon une lettre de Valérie Amos, chef des opérations humanitaires des Nations unies, publiée fin octobre, « l’ONU est dans l’incapacité de porter secours à 2.5 million de personnes hors d’atteinte dont certaines depuis près d’un an ». Utiliser la faim comme arme de guerre contre une population est un crime de guerre. Un de plus.