Syrie : L’atroce indifférence

Article  •  Publié sur Souria Houria le 18 février 2014

Civils syriens évacués lors d’une opération humanitaire, à Homs, le 10 février. | BASSEL TAWIL/AFP

Imaginons qu’un camp de réfugiés palestiniens, installé depuis plus d’un demi-siècle dans une capitale arabe, soit soumis par le gouvernement de ce pays à un siège impitoyable avec un seul objectif : affamer les malheureux réfugiés.
Imaginons que ce même gouvernement soit accusé par l’ONU – dans un rapport dûment estampillé « Nations unies » – d’emprisonner des enfants de 11 ans, de les faire violer et torturer devant des membres de leurs familles, cela afin de terroriser une partie de sa population.
Imaginons que ledit gouvernement fasse en ce moment assiéger plusieurs centaines de milliers de ses ressortissants, tous civils, sur son propre territoire, avec, cette fois, pour objectif de les empêcher de bouger. Et d’en faire ainsi les cibles de bombardements aériens quotidiens au moyen de bidons chargés d’explosifs qui vont, à l’impact, larguer à l’horizontale des milliers de clous et de pièces d’acier.
Imaginons que, grâce à cette technique, ce gouvernement arrive à tuer, en ce moment même, entre 80 et 200 personnes par jour.
Il n’y a rien d’imaginaire dans la liste des crimes de guerre évoqués ci-dessus. Elle est une réalité bien « réelle », décrite en pages intérieures des journaux, jour après jour, à la rubrique « Syrie ». Elle est imputée, sans contestation aucune, au régime de Bachar Al-Assad.
Le rapport de l’ONU sur les enfants date du lundi 3 février. Onze mille Syriens de moins de 16 ans ont été tués depuis le début de la guerre civile. Ces derniers mois, il ne se passe pas de semaine sans que l’ONU dénonce les différents sièges auxquels la population est soumise.
En d’autres temps, pareille sauvagerie eût provoqué un tollé politico-diplomatico-médiatique. Pourquoi cette tolérance à l’égard d’un gouvernement qui tue ses propres ressortissants par dizaines de milliers et en jette des centaines de milliers d’autres sur les routes de l’exil ?
La première raison est d’ordre stratégico-diplomatique. Au Conseil de sécurité de l’ONU, la Russie protège son allié Al-Assad. Elle met son veto à toute initiative humanitaire d’ampleur. Elle n’a autorisé que la petite opération qui vient d’avoir lieu à Homs. Assiégée par le régime, la population civile est autorisée à sortir au compte-gouttes – 1 400 personnes à ce jour.
La deuxième raison est plus politique. Parce qu’il y a en face du régime de Damas des groupes islamistes qui ne se comportent pas toujours beaucoup mieux, les deux parties sont renvoyées dos à dos. Comme si les abominations des uns neutralisaient les crimes des autres, anesthésiant nos consciences fatiguées.
Mais cette façon de conditionner le niveau de l’émotion à un jugement politique n’est pas seulement indigne, elle est absurde. Elle ne permet pas de comprendre que la barbarie du régime de Damas nourrit la montée en puissance de l’islamisme radical en Syrie. Bachar Al-Assad n’est pas un rempart contre l’islamisme, il aimante le djihadisme modèle Al-Qaida.

 

En continuant à armer le régime, la Russie entretient Damas dans l’illusion d’une victoire militaire. Ce faisant, Moscou radicalise encore le conflit – et favorise ainsi la concentration sans précédent de djihadistes venus du monde entier se battre en Syrie.
C’est, dans tout son cynisme, la politique du pire

source : Le Monde, Editorial

https://resistanceinventerre.wordpress.com/2014/02/18/syrie-pourquoi-cette-tolerance-a-legard-dun-gouvernement-qui-tue-ses-propres-ressortissants-par-dizaines-de-milliers/

date : 15/02/2014