Syrie. Le cheykh al-Yaqoubi condamne la prise en otage de religieux et religieuses – par Ignace Leverrier

Article  •  Publié sur Souria Houria le 24 février 2014

Depuis Genève, le cheykh et grand savant damascène Mohammed Abou al-Houda al-Yaqoubi a appelé les combattants en Syrie à libérer les chrétiens enlevés ou pris en otages, et en particulier les religieuses et les membres du clergé. Cette exhortation a été adressée, le 14 février, à l’occasion d’une visite d’une délégation de l’opposition syrienne au Conseil mondial des Eglises, à laquelle participaient également Mohammed Farouq Tayfour (contrôleur général adjoint des Frères musulmans en Syrie et vice-président de la Coalition nationale des Forces de la révolution et de l’Opposition syrienne), Badr Jamous (secrétaire général de cette même Coalition), Abdel-Ahad Steifo (représentant de la communauté assyrienne au Conseil national syrien et membre de la Coalition nationale), Imadeddin Rachid (ancien professeur à la Faculté des Sciences islamiques de l’Université de Damas et membre du Courant national syrien) et Jamil Diarbakirli (représentant de l’Organisation démocratique assyrienne en Turquie). Tenue en marge de la Conférence de « Genève 2 », la rencontre a fourni l’occasion aux deux parties d’exprimer leur inquiétude pour la situation des Syriens en général, et leur préoccupation pour le sort de la minorité chrétienne en particulier.

La délégation de l'opposition syrienne en visite au Conseil mondial des EglisesVisite de la délégation de l’opposition syrienne
au Conseil mondial des Eglises

Dans son message, le cheykh al-Yaqoubi s’exprime ainsi :

« J’adresse cet appel aux moudjahidin en Syrie. Je leur demande de libérer tous les innocents enlevés, les femmes, les enfants et les membres du clergé, moines et nonnes. Ce genre de comportement est interdit en Islam. Il altère l’image de la religion. Il porte atteinte à l’honneur de notre pays et de la révolution. Il déforme l’histoire et la culture qu’incarnent le Pays de Cham, l’islam et les musulmans.

Je souhaite que ce message parvienne à tous les combattants en Syrie. Ils doivent savoir que, pour plaire à Dieu, servir le pays, soutenir la révolution et parvenir au but que celle-ci s’est fixé avec le renversement du régime, il nous faut respecter les hommes de religion de toutes les confessions. Nous n’avons pas le droit de nous en prendre à des religieux, chrétiens ou autres. Notre prophète nous a interdit de tuer les moines. Nous n’avons pas non plus le droit de les enlever, de restreindre leurs libertés, de les maltraiter ou de torturer des innocents quels qu’ils soient. Je souhaite donc qu’ils soient immédiatement relâchés. Je vous en remercie ».

Le cheykh Mohammed Abou al-Houda al-Yaqoubi, qui est né en 1963, quelques semaines après le premier coup d’état baathiste en Syrie, est l’une des figures religieuses les plus respectées de l’islam syrien. Il est un lointain descendant des Idrissides du Maroc, par lesquels sa famille se rattache au prophète Mohammed via son gendre Ali et son petit-fils Hasan. Son père, le cheykh Ibrahim al-Yaqoubi, conduisait la prière et enseignait dans plusieurs mosquées, parmi lesquelles la grande mosquée des Omeyyades. Ayant acquis auprès de lui une connaissance approfondie des textes et des sciences islamiques, il a obtenu, en 1982, une licence de langue arabe à l’Université arabe de Beyrouth. Il est détenteur de très nombreuses « ijazat« , qui, attribuées par des oulémas renommés, sanctionnent la connaissance d’un ou de plusieurs ouvrages et autorisent ceux auxquels elles ont été décernées à les enseigner à leur tour.

Le cheykh Mohammed Abou al-Houda al-YaqoubiLe cheykh Mohammed Abou al-Houda al-Yaqoubi

En 1980, il est déjà prédicateur à la mosquée al-Tawousiyeh, au centre de la capitale. En 1983, il professe aussi à la Direction générale de l’Ifta, l’organisme chargé de produire et de contrôler les fatwas. En 1986, il enseigne également le fiqh(jurisprudence) de l’école malékite à l’Institut du cheykh Badreddin al-Hasani. En 1990, il quitte momentanément la Syrie pour le Koweït, où il se consacre à la révision des textes destinés à la publication par Dar al-Athar al-Islamiyya, le Musée national koweïtien. Il réside quelque temps en Suède où il est professeur de langue arabe à l’Institut des Langues Orientales de l’Université de Göteborg et imam de l’Association islamique. Rentré à Damas, il ouvre sa maison et sa bibliothèque aux étudiants et aux chercheurs. Il effectue des déplacements réguliers en Amérique du nord, en Europe et en Asie, où sa prédication teintée de soufisme (mysticisme), prononcée dans l’une des multiples langues qu’il maîtrise, incite nombre de ses auditeurs à se convertir à l’islam.

Dès le mois de mars 2011, le cheykh al-Yaqoubi se range du côté du peuple. Alors que la majorité des hommes de religion – de toutes les religions… – évitent de se prononcer ou se prennent ostensiblement le parti du pouvoir, il exprime un soutien sans faille au soulèvement populaire, dont il affirme l’entière légitimité. Son engagement, qui se manifeste par un appel à limoger Bachar al-Assad de sa fonction de chef de l’Etat pour « incompétence », lui vaut d’être chassé de la mosquée al-Hasan du quartier d’Abou Roummaneh où il exerce la prédication. Ayant quitté la Syrie, il ne cesse de se déplacer pour se faire à la fois le défenseur et le censeur des révolutionnaires. Tout en justifiant le changement de régime en Syrie et endénonçant la collusion du cheykh Mohammed Saïd Ramadan al-Bouti avec le pouvoir en placeil condamne sans appel, en avril 2013, les enlèvements d’étrangers et leur prise en otage, en Syrie comme ailleurs.

En intervenant publiquement sur une question aussi sensible, dans laquelle Bachar al-Assad ne s’implique pas faute de véritables pressions et dont il n’ignore pas que les auteurs ne sont pas toujours à rechercher dans le camp des « rebelles », lecheykh al-Yaqoubi a pris un risque. La réponse ou l’absence de réponse à son appel permettra en effet de mesurer, d’ici quelques jours ou dans quelques semaines, la réalité de son influence et l’étendue de son autorité.

source : http://syrie.blog.lemonde.fr/2014/02/20/syrie-le-cheykh-al-yaqoubi-condamne-la-prise-en-otage-de-religieux-et-religieuses/

date : 20/02/2014