Syrie. Le remaniement du gouvernement n’annonce pas une nouvelle politique – par Ignace Leverrier
Le président syrien Bachar Al Assad a procédé, samedi 9 février, à un remaniement du gouvernement du Dr Wa’el Al Halqi, promu du poste de ministre de la Santé à celui de Premier ministre, le 9 août 2012, suite à la défection et à la fuite à l’étranger du Dr Riyad Hijab. Cette mesure avait été annoncée par plusieurs médias syriens qui puisent leurs informations aux « meilleures sources ». Mais l’examen des modifications intervenues montre que le changement prévu est loin de correspondre à leurs prévisions.
Au début du mois de février, le quotidien Al Watan, dont on pourrait supposer qu’il est « bien informé » – il est la propriété de Rami Makhlouf, cousin du chef de l’Etat, homme d’affaires et gestionnaire de fortune de la famille présidentielle -, annonçait que le remaniement retirerait à deux des quatre vice-premiers ministres les portefeuilles dont ils assumaient aussi la responsabilité. Or, ni le communiste Qadri Jamil, quatrième vice-Premier ministre pour les affaires économiques et ministre du Commerce extérieur et de la Protection des consommateurs, ni le baathiste Omar Ghalawanji, troisième vice-Premier ministre pour les Services et ministre de l’Administration locale, n’ont rien perdu de leurs prérogatives. Le premier des deux, n’ayant pas vu d’un très bon œil la restriction de ses attributions à la seule fonction largement honorifique de vice-Premier ministre, a conditionné son maintien au sein du gouvernement à la conservation de son maroquin. Son départ aurait été calamiteux, car il aurait démontré la vacuité des promesses du chef de l’Etat. Avec son compère Ali Haydar, ministre de la Réconciliation nationale, il était en effet devenu, en entrant dans le gouvernement de Riyad Hijab mis en place le 23 juin 2012, au sur-sur-sur-lendemain des élections législatives du 7 mai 2012, le symbole de « l’ouverture » sans précédent de l’exécutif à des partis politiques n’appartenant pas, nominativement au moins, au Front National Progressiste. Et, puisque la restriction de son périmètre d’activité ne pouvait être envisagée, il aurait été déplacé de l’appliquer au seul Omar Ghalawanji, qui n’avait lui-même été désigné pour l’accompagner dans sa « disgrâce » que pour ne pas en faire un bouc émissaire et pour justifier le bienfondé de la mesure.
La revue économique Al Iqtisadi écrivait de son côté, le 3 février, que « le remaniement gouvernemental serait probablement précédé du Congrès régional duParti Baath Arabe Socialiste« . La convocation de ce congrès, le 10ème du nom, est devenu en Syrie un véritable serpent de mer. Organisé en principe tous les cinq ans, il aurait dû être convoqué par le secrétaire régional du Baath, Bachar Al Assad, au milieu de l’année 2010. Mais, mettant en avant divers prétextes, le chef de l’Etat a constamment depuis lors reporté les échéances. Il ne tient visiblement pas à affronter le mécontentement de la base du parti, censé être le « dirigeant de l’Etat et de la société », mais réduit en réalité au rôle d’auxiliaire des tout-puissantsmoukhabarat, et contraint d’assumer les conséquences de « l’économie sociale de marché » qui lui a été imposée lors du 9ème congrès de juin 2005. D’aucuns suggèrent que, ce faisant, Bachar Al Assad tente au plan politique, comme il le fait depuis près de deux ans au plan sécuritaire, de faire « mieux que son père ». Celui-ci avait démontré en quelle estime il tenait la formation qui lui avait servi de tremplin en 1970 pour s’emparer du pouvoir : entre 1985 et 2000, il avait tout simplement « oublié » de le réunir en congrès… Quoi qu’il en soit, l’annonce s’est encore une fois révélée erronée ou prématurée. Le camarade secrétaire régional Bachar Hafez Al Assad ne sait apparemment pas ce qui serait préférable, dans l’optique de son maintien en place jusqu’en 2014, et s’il le peut jusqu’en 2028, puis dans la perspective de la remise de son domaine à son héritier, Hafez Bachar Al Assad : redonner un semblant de vie au Parti Baath moribond en lui permettant de démontrer que le cadavre bouge encore ; ou se passer définitivement d’un parti bien moins utile à sa survie et à l’anéantissement des hommes et des lieux qui échappent à son autorité, que les militaires, les moukhabarat et les chabbiha à son entière dévotion, incapables d’imaginer un instant que la Syrie puisse un jour ne plus appartenir à unAl Assad…
Pour Damas Post, cité le 6 février par le site Elaph d’information en ligne, le remaniement se justifiait par deux raisons : d’une part, par le désir de la direction de se débarrasser des ministres d’Etat qui n’avaient pas démontré leur efficacité et leur présence sur le terrain durant la crise ; d’autre part, par le souci d’intégrer à l’équipe gouvernementale des partis politiques de l’opposition reconnue, hors du cercle restreint et traditionnel du Front National Progressiste. Il s’agissait là de l’engagement « d’ouverture » du chef de l’Etat. Pris et annoncé avant même les élections législatives, il n’avait connu, avec l’entrée au gouvernement de Qadri Jamilet Ali Haydar, qu’une mise en œuvre limitée à la portion congrue. Finalement, ces prévisions aussi se sont révélées trop optimistes. Le nombre des ministres d’Etat n’a diminué que par l’effet mécanique du non remplacement de l’un d’entre eux, non pas remercié mais promu à un poste de ministre de plein exercice. Quant à l’entrée dans le gouvernement de représentants de l’un ou l’autre des quelque vingt partis « d’opposition » créés et reconnus au cours de l’année écoulée, ce sera boukra, non pas demain, comme on traduit souvent à tort, mais « un autre jour peut-être et de toutes manières pas aujourd’hui ».
Les modifications apportées, samedi 9 février, à l’équipe du Dr Al Halqi sont en effet strictement techniques. Elles ne suggèrent aucune inflexion politique et on ne parvient pas à y discerner la moindre ouverture. Tous les nouveaux promus sont en effet des hauts fonctionnaires, et leurs missions antérieures suffisent à attester de leur entière allégeance au pouvoir en place :
– Ismaïl Ismaïl, ministre des Finances à la place du Dr Mohammed Al Joulaylati, a enseigné à la Faculté d’Economie de Damas après avoir dirigé pendant quelques années l’Entreprise publique des Céréales.
– Sleiman Abbas, ministre du Pétrole et des Ressources minières, était déjà l’adjoint de celui qu’il remplace, Saïd Houneidi.
– Il en va de même d’Ahmed Al Qadiri, ministre de l’Agriculture et de la Réforme agraire, qui secondait précédemment Soubhi Al Abdallah.
– Il en va toujours de même de Hasan Hijazi, ministre du Travail, qui était l’un des ministres adjoints de Jasem Zakariya. Mais son autorité sera plus limitée que la sienne.
– Mme Kinda Al Chammat, professeur d’université et membre du Comité de Rédaction de la Constitution, sera en effet ministre des Affaires sociales. Elles faisaient jusqu’ici partie des attributions du ministre du Travail.
– Huseïn Farzat, ministre de l’Habitat et du Développement urbain, était ministre d’Etat depuis 2006. Avant de succéder au Dr Safwan Al Assaf, il avait à ce poste la responsabilité des Projets vitaux et il présidait la Commission des contrats.
– Huseïn Arnous, ministre des Travaux Publics, qui succède à Yaser Al Siba’i, été gouverneur de Deïr al Zor puis de Qouneïtra, et directeur général de l’Entreprise publique des Communications terrestres.
L’agence de presse officielle SANA met à la disposition des arabophones unebiographie succinte des nouveaux ministres. Elle ne manque pas d’y souligner, pour démontrer le sens de l’équilibre du chef de l’Etat et sa volonté de voir l’ensemble du pays représenté au gouvernement, qu’ils sont originaires des gouvernorats de Hama (Huseïn Farzat), Idlib (Huseïn Arnous), Qouneitra (Hasan Hijazi), Hassakeh (Ahmed Al Qadiri) et Damas campagne (Kinda Al Chammat). En revanche, elle ne dit rien de l’origine des deux derniers, Ismaïl Ismaïl et Sleiman Abbas. Elle donne ainsi l’impression – et ce « détail » n’a pas tardé à être relevé par les Syriens habitués à lire entre les lignes – de chercher à dissimuler le fait que les deux ministères les plus importants, les Finances pour le premier et le Pétrole pour le second, ont été confiés à des membres de la communauté alaouite.
En-deçà des annonces, ce remaniement gouvernemental apparaît également très en-deçà des attentes de la population syrienne. Dans son immense majorité, elle appelle de ses voeux une sortie à la crise. Mais celle-ci nécessite une véritable ouverture politique, qui ne se limite pas à la promotion d’un cadre du Parti de l’Union Socialiste Arabe d’un strapontin de ministre d’Etat à un fauteuil de ministre de plein exercice… Or rien ne permet de constater, dans les retouches effectuées au gouvernement, qu’elle est à l’ordre du jour. Certes, à en croire le ministre de l’Information, Omran Al Zoubi, « la porte est ouverte, la table de négociations est là, bienvenue à tout Syrien qui veut dialoguer avec nous. Nous sommes sérieux concernant la question du dialogue ». Mais, dans sa nouvelle composition, le gouvernement n’en montre pas le moindre indice.
Quelques commentateurs s’étonnent donc déjà de voir le capitaine du navire s’intéresser à la composition de son équipage – ou, comme on dit en Syrie, procéder à une nouvelle « répartition des tarbouches » – alors que, pour les passagers cernés par la tempête et menacés par les icebergs, l’urgence est ailleurs.
date : 09/02/2013