Syrie : le voyage bercé d’illusions des combattants français – propos recueillis par Jamila Aridj

Article  •  Publié sur Souria Houria le 23 janvier 2014

Nicolas Bons, 30 ans, parti faire le djihad en Syrie, est mort fin décembre, plusieurs mois après le décès de son frère cadet Jean-Daniel, lui aussi mort dans des combats contre les troupes de Bachar el-Assad. | © Capture d'écran / Youtube

Mathieu Guidère, spécialiste de l’islam radical, retrace le profil et le parcours de cette nouvelle génération de djihadistes.

Les services français recensent près de 700 Français plus ou moins impliqués dans la guerre ou l’envoi de djihadistes en Syrie. Parmi eux, près de 250 Français ou étrangers résidant en France sont à proprement parler des soldats. Une centaine sont « en transit », 150 ont manifesté leur volonté de s’y rendre et 76 en sont revenus. Vingt et un y sont morts. Des chiffres qui dessinent une nouvelle génération de combattants radicaux. Qui sont ces (très) jeunes hommes qui partent dans le guêpier syrien ? Que font-ils sur place ? Et dans quel état d’esprit regagnent-ils l’Hexagone ? Éléments de réponse avec Mathieu Guidère, professeur à l’université de Toulouse 2, spécialiste de l’islam radical.

Le Point.fr : Peut-on établir le profil de ces jeunes Français qui partent combattre en Syrie ? 

Mathieu Guidère : Il est difficile d’établir un portrait précis. Le conflit syrien est relativement récent et nous manquons de données. Pour autant, nous savons qu’il s’agit de jeunes hommes âgés très majoritairement de 18 à 30 ans, d’origine européenne avec des ascendants arabo-musulmans.

Parmi eux, on dénombre une douzaine de mineurs, dont six déjà présents dans le pays et d’autres « en transit ». Ce phénomène « d’ados combattants » est-il nouveau ?

Non, mais le contexte social et géopolitique l’a favorisé. La crise généralisée et l’effervescence révolutionnaire dans les pays arabes ont encouragé une certaine jeunesse contestataire à s’engager dans la lutte armée. Des jeunes qui ont tendance à confondre la dimension révolutionnaire du Printemps arabe avec une contestation radicale du système. L’islam radical reste pour eux la seule idéologie qui contredit l’ordre mondial.

Quelles sont les raisons de leur départ ?

En recoupant les messages vidéo qu’ils postent sur Internet, les lettres adressées à leurs familles et les renseignements officiels, on s’aperçoit que les motivations au départ ne sont pas religieuses. Ces jeunes gens sont bercés dans une sorte de romantisme de l’action extérieure, portés par un idéalisme face à une guerre injuste, ils ont l’ambition de se rendre utiles en allant au conflit. Leur radicalisation se développe au fil de leur voyage ou dès leur arrivée, avec la rencontre de groupes majoritairement djihadistes qui les accueillent sur place et qui exigent leur conversion en guise d’intégration.

Comme rejoignent-ils la Syrie ?

Il existe très peu de réseaux d’acheminement. Et les rares initiatives de filières organisées ont été démantelées par les services de renseignement français. L’écrasante majorité des départs de France ou d’Europe se fait sur des initiatives individuelles volontaires et volontaristes. L’individu s’auto-endoctrine, s’auto-radicalise, la plupart du temps via Internet. Il va lui-même se documenter et organiser son périple en prenant très peu de contacts. Il finance ensuite l’intégralité de son voyage et son matériel sur place. Contrairement au Mali ou à l’Afghanistan, le terrain syrien présente une facilité : la continuité territoriale. Les jeunes partant de France restent dans l’espace Schengen. La Turquie ayant un partenariat dans cet espace, il n’y a besoin ni de passeport ni de visa. Les nouveaux combattants arrivent à la frontière syrienne sans être inquiétés. Sur place, la frontière étant contrôlée par les groupes rebelles syriens, le flux de réfugiés entrant et sortant est tel qu’il est facile de passer la frontière.

Qui pour les accueillir ?

Leur « réception » est assez aléatoire. Les groupes de l’opposition non djihadistes refusent presque systématiquement les jeunes ressortissants occidentaux pour des raisons diplomatiques. Ces jeunes finissent par se déplacer d’un quartier à l’autre, d’une ville à une autre, pour se trouver un point de chute. Ils tombent souvent sur un groupe djihadiste qui, lui, va les intégrer progressivement dans ses rangs.

Comment sont-ils utilisés sur place ?

Inexpérimentés sur le plan militaire, ils sont souvent relégués aux tâches logistiques : préparer la nourriture, nettoyer les armes, l’approvisionnement des munitions. Sur place, ils sont regroupés par nationalité, on ne les mélange pas avec les autres combattants à la fois pour des raisons de communication (ils ne parlent pas nécessairement l’arabe) et pour des raisons pratiques (ils retarderaient une action sur le terrain). Un chef de groupe est nommé avec sous sa responsabilité huit à dix jeunes. Il les forme avec les moyens qu’il a et, quand un jeune est capable de tirer, il est autorisé à monter au front.

Reste que les Occidentaux sont malgré tout recherchés par les groupes djihadistes parce qu’ils leur permettent de donner une visibilité médiatique à leur action. Dès qu’on parle d’un Français parti combattre en Syrie (une famille qui alerte sur le sort de son enfant, par exemple), ils vont le filmer ou le photographier une arme à la main. Une propagande et un mode de recrutement qui fonctionnent. L’affaire Merah a d’ailleurs contribué à développer cette méthode.

Sont-ils encouragés à revenir en France pour recruter d’autres combattants ? 

La plupart n’envisagent pas de revenir parce qu’ils estiment que leur départ correspond à la « hijra » (immigration en arabe, NDLR). C’est une référence au départ du prophète Mahomet de La Mecque vers Médine, un retour aux sources de l’islam. Ceux-là n’envisagent que deux avenirs : soit la chute du régime de Bachar el-Assad qui leur garantirait de faire leur vie en Syrie, soit la mort au combat. Ceux qui reviennent le font par obligation parce qu’ils ne trouvent pas de point de chute ou parce qu’ils n’ont pas les moyens financiers de rester sur place. Aussi par désillusion, parce qu’ils se sentent inutiles face aux bombardements aériens ou parce que le groupe dans lequel ils sont intégrés manque d’armes et de munitions.

Sont-ils une menace ?

Pour le moment, ils ne menacent pas la France parce que la politique française à l’égard du régime syrien est en adéquation avec leurs attentes. Ils font toutefois l’objet d’une surveillance accrue des services de renseignement.

source : http://www.lepoint.fr/societe/syrie-le-voyage-berce-d-illusions-des-combattants-francais-22-01-2014-1782933_23.php

date : 22/01/2014