Syrie : les secrets de l’archiviste de l’horreur – par Garance Le Caisne

Article  •  Publié sur Souria Houria le 18 mars 2014

Des manifestations de solidarité avec le peuple syrien ont eu lieu samedi dans le monde entier pour condamner un régime dont la torture est l’une des armes de destruction massive.

C’est un dossier de 54.000 photos de 11.000 corps suppliciés : cadavres faméliques, souvent nus, mains et pieds brûlés, visages sans yeux ou rongés par on ne sait quel produit chimique, marques de chaînes autour du cou… Un dossier de l’indicible transmis par un ancien agent du régime de Bachar El-Assad. Auteur de la plupart de ces photos, il a fait défection en juillet 2013 et porte le nom de code de César. Ce dossier est entre les mains d’experts de la justice internationale. Hassan Shalabi? l’un des deux activistes syriens qui ont permis son exfiltration, raconte en exclusivité auJDD.

Qui est César?
César est un héros qui a pris des risques considérables pour faire parvenir au monde extérieur des preuves des crimes du régime de Bachar El-Assad. Pendant deux ans, il a risqué sa vie et celle de sa famille. César travaillait au sein d’un ­département de documentation de la sécurité militaire. Il devait prendre et archiver les photos des détenus morts de faim ou sous la torture. Cette documentation avait deux buts : permettre aux autorités de délivrer des certificats de décès aux familles attestant que leur proche était mort d’un « arrêt cardiaque » et montrer à la hiérarchie que le travail a été fait. Nous sommes entrés en contact avec César au printemps 2011, au début de la révolution, grâce à une personne très proche de lui qui avait compris l’importance de son travail.

«César copiait les photos sur une clé USB qu’il sortait cachée dans son pantalon, sa ceinture ou ses chaussures…»

Il voulait déjà faire défection…
Nous lui avons conseillé de rester à son poste pour collecter ces preuves, il a accepté. Nous avons alors monté un réseau de plusieurs comités. L’un était chargé de ­recueillir les photos, un autre de les sauvegarder et de les faire sortir du pays. Les contacts se faisaient par l’intermédiaire de l’ami de César chez qui les deux hommes se rencontraient. Cette opération est restée secrète jusqu’au bout. Moins de six personnes savaient. La famille de César et celle de son ami n’étaient pas au courant. La femme de César connaissait juste son désir de faire défection, qu’elle soutenait.

Quand a-t-il commencé à vous donner ces documents?
Les premières photos sont sorties en août 2011. César les copiait sur une clé USB qu’il sortait cachée dans son pantalon, sa ceinture ou ses chaussures… C’était très risqué car il devait passer des barrages de l’armée, nombreux dans les zones contrôlées par le régime. Son ami récupérait les photos et les apportait à quelqu’un dans une zone contrôlée par l’opposition. Puis elles étaient envoyées par Internet à notre comité à l’extérieur du pays. Il fallait le faire tous les jours pour ne pas prendre le risque d’en transporter une grande quantité au cas où César se ferait prendre.

Pourquoi a-t?il arrêté sa mission en juillet 2013?
Des supérieurs lui ont demandé de former une personne qui pourrait le remplacer à son poste. Nous avons compris que des soupçons pesaient sur lui. Nous avons alors décidé de l’exfiltrer. Son dernier jour de travail a été le plus dangereux. Il a photocopié et sorti 17 documents d’une importance capitale pour prouver des crimes contre l’humanité perpétrés par le régime. Ces documents ne seront rendus publics que lors d’un procès.

«Cette opération est restée secrète jusqu’au bout. Moins de six personnes savaient.»

Comment avez-vous exfiltré César?
Nous avons contacté l’Armée ­syrienne libre. Le plan était que l’ASL affirme avoir tué cet homme pour son implication dans la répression du régime. Mise dans la confidence, sa femme a collaboré et s’est rendue au bureau de son mari dire que sa mort avait été annoncée et déclarer sa disparition. Cinq jours après, elle est allée dans son village d’origine pour recevoir les condoléances des proches et des amis. Puis nous lui avons fait quitter la Syrie rapidement. Quant à César, il a fallu un mois pour l’exfiltrer. Deux hommes sont morts pendant cette mission. Les trois personnes du comité chargé de recueillir les photos, dont l’ami de César, ont eux aussi été exfiltrées, avec leur famille. En tout, 21 personnes ont été mises à l’abri.

De quelle protection dispose César?
Il est protégé par des Syriens en exil. Nous avons demandé l’aide de pays étrangers, mais rien n’a encore été fait. Le régime syrien ne sait pas qui est César exactement. Une quinzaine d’employés travaillaient dans le même service, plusieurs ont fait défection. Les amis, les voisins de celui qu’on nomme César pensent toujours qu’il était un homme du régime et qu’il a été tué. Pour nous, c’est un héros, mais il n’est pas le seul. Nous sommes en contact avec d’autres Césars qui travaillent toujours au sein du régime pour servir la révolution en transmettant des dossiers aussi importants.

Garance Le Caisne – Le Journal du Dimanche

 

source : http://www.lejdd.fr/International/Moyen-Orient/Syrie-les-secrets-de-Cesar-l-archiviste-de-l-horreur-657290

date : 16 mars 2014