Syrie : « Les tergiversations de l’Occident renforcent les salafistes » – interview de Robert Malley par Benjamen Barthe

Article  •  Publié sur Souria Houria le 10 octobre 2012

Quelle importance attribuez-vous aux groupes salafistes au sein de l’opposition syrienne ?

Voilà un sujet difficile à aborder de façon dépassionnée. Les partisans du régime ont tout de suite mis l’accent sur le phénomène salafiste djihadiste, bien avant qu’il ne se manifeste, pour effrayer la communauté internationale et les minorités syriennes. L’opposition cherche à le minimiser, alors même qu’il est devenu une cause d’inquiétude légitime, pour protéger l’image limpide d’un soulèvement populaire.

Les salafistes – expression qui regroupe une grande diversité de tendances – sont une donnée palpable, importante, croissante, mais non pas (ou pas encore) dominante dans le champ de l’opposition syrienne. Ils n’en sont pas l’expression véritable ou unique mais, pareillement, ils ne sont ni la simple résultante des intrigues du régime (bien réelles pourtant) ni le simple produit du soutien du Golfe (bien réel également).

Comment expliquer l’essor de ce courant ?

Il s’explique surtout par les conditions du conflit : violences qui s’intensifient, espoir d’un règlement politique qui s’amenuise et échec de toutes les autres tendances de l’opposition – manifestants pacifiques, dirigeants exilés ou encore islamistes modérés. Dans ce contexte, le salafisme offre une vision attrayante, car il est pourvoyeur de sens. Il permet d’identifieraisément l’ennemi (les infidèles) et l’objectif (l’établissement d’un régime islamique). De par ses connexions régionales, il est source d’armement, de financement et de savoir-faire militaire ; bien des salafistes-djihadistes ayant combattu sous d’autres cieux à d’autres époques.

Ces groupes sont-ils porteurs d’un risque d' »irakisation » de la crise ?

Pas seulement ces groupes. Le conflit lui-même – ses dynamiques de polarisation, de radicalisation mutuelle – porte les germes d’une irakisation possible. Cela dit, la montée du salafisme n’est pas irréversible. Elle est une des nombreuses excroissances d’un conflit en mutation constante et dont l’étape que nous vivons lui est favorable. Cela peut changer. Par bien des aspects, le salafisme est aux antipodes de la société syrienne, qui a été façonnée par un islam modéré, pluriconfessionnel et qui vit dans la crainte du sectarisme qui a ensanglanté ses voisins irakiens et libanais.

Comment la communauté internationale doit-elle réagir ?

Si elle veut que cela change, il lui faudra elle aussi changer. L’absence d’issue politique et les divisions dans les rangs rebelles sont aussi le produit d’une communauté internationale fractionnée, dont les efforts éparpillés alimentent le conflit. Les tergiversations de l’Occident renforcent le discours des salafistes dans lequel l’Europe et les Etats-Unis font figure de complices passifs du régime.

Si l’on veut éviter de faire le lit des tendances les plus radicales, il est impératif que chacun – alliés du régime comme de l’opposition – comprenne qu’il n’y aura d’issue que politique. Et il est impératif que ceux qui aident l’opposition le fassent de manière ordonnée pourcontribuer à l’émergence d’une direction représentative et capable – lorsque l’occasion s’en présentera – de négocier.

Robert Malley est directeur du programme Afrique du Nord-Moyen-Orient au cabinet d’études International Crisis Group

source : http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2012/10/10/syrie-les-tergiversations-de-l-occident-renforcent-les-salafistes_1772894_3218.html