Syrie: l’esprit d’un gouvernement démocratique se cherche au Palais-Bourbon – par Harold Hyman

Article  •  Publié sur Souria Houria le 3 octobre 2013

Eric Chevallier, l'ambassadeur de France en Syrie. (Harold Hyman - BFMTV)

Le gouvernement syrien de l’avenir, le voici. Ou du moins une partie du gouvernement provisoire: des opposants connus, certains historiques comme l’intellectuel et ancien prisonnier politique Michel Kilo, et d’autres appelés à entrer dans l’Histoire, comme Qasem Sala Eldine, du Haut Commandement de l’Armée Libre Syrienne.

Cette préfiguration de ce que la diplomatie française voudrait voir s’installer à la tête de la Syrie était présente à l’invitation de quelques députés, dans un annexe de l’Assemblée nationale. Un groupe de six, des Syriens et deux amis français, un humanitaire et un chercheur engagé. Les diplomates ont été invités à parler, mais on n’est pas au Quai d’Orsay, et les diplomates ne commandent pas. Elisabeth Guigou, la présidente PS de la Commission des Affaires étrangères, a ouvert la séance.

Voici les bonnes phrases de cet événement marquant dans l’histoire syrienne. Elisabeth Guigou, qui soutient entièrement la Coalition nationale syrienne, a toutefois eu ces mots – je paraphrase à peine –  de realpolitik: il faut associer l’Iran au processus de sortie de guerre, de bons signaux émanent du nouveau président iranien Hassan Rohani, et par ailleurs le monde ne doit pas avoir à choisir entre des terroristes et un régime affreux pour les Syriens. Elle a sans doute résumé la ligne médiane de la classe politique française.

Absence de guerre religieuse

Le civil résident en Syrie le plus en avant (et déjà connu en France) à cette tribune, Yaihia Nanah, chef du Conseil provincial de la province libre d’Alep, a donné le ton: le régime détruit des pans entiers du pays, l’opposition administre pour éviter le vide, et les minorités chrétiennes (catholiques, orthodoxes, Arméniens) sont respectées car l’idée centrale est qu’il n’y a pas de guerre religieuse entre les Syriens du peuple. Il s’agit avant tout d’un soulèvement populaire contre un dictateur.

 

Une catastrophe médicale sur fond de gaz

Raphaël Pitti, médecin urgentiste issu du monde militaire français, membre de l’Union des organisations syriennes de secours médicaux, parti plusieurs fois pour soigner du côté rebelle, aborde quant à lui la question de l’aide internationale qui arrive sur place: l’ONU donne au Croissant Rouge, placé sous le contrôle du régime, et gare aux membres du Croissant Rouge qui tentent d’aider les zones d’opposition: plusieurs d’entre eux ont été exécutés. Les morts non comptabilisés sont légion: les insuffisants rénaux, les cardiaques.

Face à la question des armes chimiques, le docteur Pitti n’est pas un novice, pour avoir soigné des victimes d’attaques au gaz à Alep. L’utilisation de l’arme chimique, au départ fin 2012, consistait en 3 ou 4 vagues d’attaques, destinées à enfumer les « rats rebelles » embusqués en zone urbaine. On pouvait alors compter entre 30 et 40 morts.

Et puis le 21 août 2013 a tout changé: 1.350 morts en milieu urbain, face à une médecine impuissante. Sans compter les victimes de missiles Scud sur un quartier d’Alep, et les survivants condamnés, impossibles à atteindre sous des monceaux de gravats.

« Je n’ai jamais vu autant de souffrance, autant de destructions d’hôpitaux. Je conteste le Prix Nobel de la Paix à Obama ». Qasem Saad Eldine, de l’état-major de l’ASL (l’Armée syrienne libre), ajoute: « Le régime avait utilisé l’arme chimique fréquemment, avant le 21 août [tirs sur la Ghouta, dit aussi Rif Damask, qui tua 1.300 personnes]. Nous avions averti les Occidentaux, mais leur réaction fut molle et cela a enhardi le régime. L’accord sur les armes chimiques entre la Russie et les Etats-Unis est honteux. Comment l’accepter, lorsqu’on a 150.000 tués, 300.000 emprisonnés, 7 millions de réfugiés, des tirs d’armes conventionnelles, d’armes chimiques, et la réduction à la famine par le blocage de l’aide internationale par le régime? »

Qasem Saad Eldine porte le coup de grâce: « L’armée du régime a fait passer des quantités importantes d’armes chimiques au Hezbollah et en Irak ». On peut frémir à cette idée, car le gouvernement israélien n’y restera pas indifférent. Comme on peut suspecter les Occidentaux et surtout Washington d’être au courant, on peut aussi se dire qu’il existe un genre de marché russo-américain qui révolte tant Saad Eldine. Ce dernier ajoute: « Nous sommes sceptiques sur la mission des inspecteurs de l’Organisation pour l’Interdiction des armes chimiques ».

 

Un régime fasciste, nazi, à l’état pur

Voici encore ce qu’ont dit plusieurs intervenants, Michel Kilo, le chercheur Jean-Pierre Filiu et l’ambassadeur de la Coalition nationale syrienne, Monzer Makhous. Le régime Assad avait initialement prétendu que l’opposition qui a surgi en 2011-2012 était le fait de bande terroristes organisées et financées de l’extérieur – comprendre l’Arabie Saoudite et le Qatar.

Or, pratiquement tous les intellectuels, totalement désarmés, qui ont osé exprimer une opposition ont été arrêtés, 621 personnes selon Michel Kilo. Dans une phase ultérieure, Bachar al-Assad avait invité des opposants à former un gouvernement d’ouverture, afin de faire face aux jihadistes. Ces opposants-là ont ensuite été intimidés, et ne sont pratiquement plus présents à aucun niveau.

Toute la stratégie du régime consiste à laisser les jihadistes se tailler de petits émirats sur le territoire, et de les contenir sans les détruire. Ainsi, l’opposition démocratique n’a plus d’espace. Elle n’était jamais censée en avoir, et tout contact à la loyale est impossible, car le régime ne tient que par les services secrets et l’opposant loyal est arrêté, ou intimidé, ou pire. C’est un régime vampire.

L’éducation, seule bonne nouvelle

Seule bonne nouvelle, les baccalauréats syriens seront désormais reconnus par la France. L’ambassadeur de France en Syrie, Eric Chevallier, s’est même rendu récemment à la frontière syrienne pour recueillir 150 copies sur les 3000 existantes, afin de participer à la double correction et crédibiliser le processus.

source : http://www.bfmtv.com/international/syrie-l-esprit-d-un-gouvernement-democratique-se-cherche-palais-bourbon-615324.html

date : 02/10/2013