Syrie : l’irresponsabilité des réalistes – par Laurent Joffrin

Article  •  Publié sur Souria Houria le 24 août 2012

Les adversaires de toute intervention occidentale contre les dictateurs du Sud (ou du Nord) sont prompts à dénoncer les échecs ou les insuffisances des régimes qui succèdent aux anciens tyrans. En Libye, par exemple, on met, souvent, à juste titre, en cause le désordre politique, l’influence de partis religieux ultraconservateurs ou encore les risques de déstabilisation régionale consécutifs à la livraison d’armes aux insurgés.

Les mêmes, en revanche, sont étrangement muets quand il s’agit de relever les échecs ou les insuffisances de la politique de non-intervention dont ils sont les avocats péremptoires. Pourtant le laboratoire de la non-intervention existe et les conséquences de l’abstention des démocraties dans un conflit s’étalent tous les jours sous nos yeux. Comme le remarque Jean Daniel avec sagesse, les deux situations sont distinctes et les deux pays, Libye et Syrie, appellent des politiques différentes. On peut néanmoins dresser un premier bilan de la politique prônée par les activistes de l’inaction.

Régime ennemi des démocraties

Le régime de Bachar al-Assad, en refusant toute évolution démocratique et en s’attaquant avec des moyens inhumains à son propre peuple, a déjà provoqué la mort de 17.000 personnes. A cela s’ajoutent des milliers de blessés et les cas, apparemment nombreux, de tortures pratiquées indistinctement sur des femmes, des enfants ou des vieillards.

On dira qu’il vaut mieux, après tout, un dictateur horrible mais stable plutôt qu’un pouvoir instable en proie à la division ou à l’aventure extrémiste. Mais en l’occurrence, le régime syrien s’est très souvent comporté en ennemi avéré des grandes démocraties, en soutien du terrorisme ou bien en ennemi acharné d’Israël. On se souviendra par exemple, de l’ambassadeur français abattu par des agents syriens, ou encore de l’attentat qui a coûté la vie à l’ami de la France Rafic Hariri. Plus largement, on se remémorera les interventions syriennes dans la guerre civile au Liban.

On craint d’ailleurs, aujourd’hui, une extension du conflit syrien au Liban et les puissances occidentales ont été contraintes de se concerter hier pour examiner les risques d’un emploi de l’arme chimique par le régime de Damas…

Escalade militaire

La realpolitik de la stabilité n’a aucun sens dans le cas de Bachar al-Assad. Sa victoire conforterait tous les adversaires de l’évolution du monde arabe, satisferait des régimes comme la Chine et la Russie, qui sont largement hostiles aux intérêts occidentaux, sans parler de l’Iran, qui ne cesse, entre autres provocations, de proclamer sa volonté de détruire Israël par tous les moyens.

Ainsi les partisans de la non-intervention, adeptes des calculs froids d’équilibre entre les puissances ou bien hostiles par principe à toute intervention militaire, prennent-ils la responsabilité de laisser, au nom de la prudence, se développer une escalade militaire aux conséquences imprévisibles et de sauver un régime qui a toujours été l’ennemi des démocraties. Belle réussite du réalisme…

source: http://tempsreel.nouvelobs.com/laurent-joffrin/20120823.OBS0247/syrie-l-irresponsabilite-des-realistes.html