Syrie. Livrer des armes à l’opposition… pour lui éviter de s’entredéchirer – par Ignace Leverrier

Article  •  Publié sur Souria Houria le 26 mars 2013

Sous le titre « L’opposition se déchire, la France doute, fausse rumeur de la mort d’Assad« , la revue Marianne a publié, lundi 25 mars 2013, un article qui suscite un malaise certain.

On peut comprendre que, dans la ligne de l’hebdomadaire, sa signataire soit vigoureusement opposée à la décision du Président de la République de livrer enfin des armes à l’Armée Syrienne Libre. Mais elle n’a pas le droit de faire semblant de croire, pour donner du poids à ses objections et/ou pour effrayer ses lecteurs, que, parmi les destinataires de ces armes ait pu un instant figurer le « canal jihadiste affilié à Al Qaïda« . C’est pour ne pas même en livrer au « canal islamiste » que la France s’est employée, au début du mois de décembre 2012, à faciliter la création, à Antalya, d’un Commandement militaire suprême. Au terme d’une réunion de quelque 300 officiers et commandants de l’intérieur, appartenant tous au « canal modéré« , la direction de cette nouvelle structure a été confiée au général Salim Idriss. Il a vocation à devenir le ministre de la Défense du gouvernement provisoire que la Coalition Nationale, créée à Doha quelques semaines plus tôt, doit achever de mettre en place suite au choix, en tant que Premier ministre, de Ghassan Hitto.

On peut comprendre que, pour défendre son point de vue, elle force le trait, qu’elle affirme que « l’opposition se déchire« , qu’elle parle de « frères ennemis de la révolution syrienne » et qu’elle évoque « des séismes qui confirment la réalité des conflits fratricides entre insurgés« . Les divisions de l’opposition syrienne ne sont un secret pour personne, en dépit des efforts déployés par ses différentes composantes pour parvenir à les surmonter. Il faut dire qu’elle partait de loin. Les problèmes dont elle souffre trouvent leur origine dans l’histoire de la vie politique, ou plutôt dans l’absence de toute vie politique dans la Syrie des Al Assad. Par un étrange paradoxe, en les incitant à fuir la Syrie au milieu de l’année 1980, suite à l’adoption d’une loi (la Loi 49 du 7 juillet 1980) condamnant à mort la simple appartenance à leur association, le régime syrien a permis aux Frères musulmans de se réorganiser à l’étranger et de devenir, que cela plaise ou non, la principale formation de l’opposition syrienne, intérieure et extérieure confondues. Leur poids, leur cohésion et leur discipline en font des interlocuteurs mal commodes pour ceux qui, malgré leurs idées et leur réputation de « personnalités nationales« , resteront incapables d’opposer leur projet au leur aussi longtemps qu’ils ne parviendront pas à surmonter leurs divergences idéologiques, leurs conflits personnels et leurs querelles d’ego, et à constituer face à eux un front commun.

En revanche, on comprend mal que, reprenant sans sourciller ce qui a été écrit ici et là, parfois non sans arrière-pensées, elle affirme que « Hitto est Frère musulman« . L’intéressé sera surpris de l’apprendre. Il appartient sans doute à un milieu socialement conservateur, mais cela ne suffit pas à en faire un membre des Frères musulmans. Rassurés par sa personnalité et par le soutien politique et financier que le Qatar paraissait disposé à lui fournir, ceux-ci ont décidé de voter pour lui, lors de l’Assemblée générale de la Coalition nationale d’Istanbul, d’une part pour barrer la route à son principal concurrent, l’ancien ministre Asaad Moustapha, et d’autre part pour lui permettre de disposer, grâce à l’apport massif de leurs voix, d’une légitimité incontestable.

Il n’est pas vrai que « l’Armée syrienne libre a immédiatement annoncé son refus » de son élection. Celui qui a fait cette déclaration, Louaï Al Miqdad, n’est pas le porte-parole de l’Armée syrienne libre, mais uniquement celui du Haut Conseil militaire du général Moustapha Al Cheykh. Concurrent des Conseil militaires conjoints qui lui étaient antérieurs, et marginalisé par la création ultérieure du Commandement militaire suprême de Salim Idriss, le Haut Conseil militaire n’a pas beaucoup d’unités sur le terrain. Par ailleurs, et ceci explique cela, il est sous l’influence directe du meilleur ennemi du Qatar dans le Golfe, l’Arabie saoudite… qui lui assure son financement. Ce n’est donc pas « pour essayer de trouver des soutiens parmi les combattants« , mais pour rencontrer ceux qui reconnaissent son autorité que Ghassan Hitto s’est rendu à Alep au cours du week-end écoulé.

Il est exact que Moazz Al Khatib n’appartient pas au « camp laïc« . Mais il est totalement erroné de faire de Riyad Seif « un laïc, représentant de cette gauche arabe aux racines anciennes, détestée et combattue par les Frères musulmans« . Lui faisant oublier un instant ses problèmes de santé, une telle définition ne manquerait pas, s’il en avait connaissance, de provoquer son hilarité. Il est exact, s’agissant du même « camp laïc« , que « ses leaders ont tant souffert pendant des décennies sous la dynastie des Assad« . Mais depuis quand ont-ils été les seuls ? La lecture de La Coquille, mémoires romancées d’un ancien détenu – de gauche – du bagne militaire de Palmyre, suffit à constater que, si des militants du Parti communiste et du Parti de l’action communiste ont partagé le sort des Frères musulmans dans ce camp de concentration, ils y ont ausi bénéficié, dans leur malheur, d’une situation privilégiée par rapport à la leur.

Ayant repris, pour qualifier Moazz Al Khatib, l’expression « salafiste modéré« , dont elle fait bien de laisser la responsabilité à Thomas Pierret, meilleur connaisseur de la politique religieuse de la Syrie baathiste, elle ajoute – mais l’adverbe est de son cru, et on l’appréciera – que « NEANMOINS, pour cet universitaire, Al Khatib est quelqu’un d’honnête, ouvert d’esprit, capable de dialoguer sereinement avec des représentants de toutes les tendances, de l’islamiste radical au laïc convaincu« .

C’est tout le mal qu’on souhaite à chacun. Même aux journalistes.

date : 25/03/2013