Syrie: l’opposition se structure avec un nouveau Conseil national

Article  •  Publié sur Souria Houria le 20 septembre 2011

De notre envoyée spéciale à Istanbul, Caroline Donati

« Incha’allah »… L’interjection revient sur toutes les lèvres, comme pour dire que les dés sont enfin jetés, et le mauvais sort conjuré. Loin du brouhaha médiatique et de la cacophonie qui ont accompagné les précédents congrès de l’opposition syrienne, une cinquantaine d’opposants syriens ont assisté à la proclamation du «Conseil national syrien» (CNS), ce jeudi 15 septembre, dans l’hôtel GreenPark de la rive asiatique d’Istanbul.

L’heure n’est pas au triomphalisme tant la tâche reste immense et les embûches nombreuses sur la longue route des opposants syriens. Mais un certain soulagement pouvait se lire sur les visages fatigués par les longues heures de tractations nocturnes passées. Et à venir.

Il a fallu en effet près de deux mois d’intenses négociations pour parvenir à ce résultat : donner une représentation au soulèvement syrien et esquisser l’ébauche d’un cadre national aux forces d’opposition.

Il y avait eu, le 29 août, le Conseil national intérimaire, annoncé à grand bruit depuis Ankara, mais à l’insu même de ses membres et de son président Burhan Ghalioun ! Cette fois, cette nouvelle structure est le fruit d’une collaboration entre opposants traditionnels et acteurs de la révolution syrienne, en exil et basés en Syrie. 60% des 140 membres qui constituent ce Conseil national syrien viennent de l’intérieur. Leurs noms n’ont pas été dévoilés pour des raisons de sécurité.

Les négociations qui ont abouti à ce Conseil ont été lancées en juillet. Elles ont été menées par un groupe restreint, composé d’universitaires et d’intellectuels syriens de la diaspora ou récemment exilés, constitué à la faveur des différentes rencontres qui tentent depuis six mois d’organiser le soutien au soulèvement syrien.

« La conférence d’Antalya avait été une première prise de contacts, explique Adib al-Chichakli, l’héritier du colonel Adib al-Chichakli qui fut à la tête de l’Etat syrien entre 1949-1954. Elle a permis à des technocrates, des opposants de constituer ensuite une sorte de coordination démocratique. » Rassemblant des universitaires et des avocats qui se définissent comme des démocrates conservateurs ou des libéraux, le Syrian Council American a joué un rôle clé dans la constitution de cette équipe de travail qui a mené les consultations pour la constitution du CNS.

« Dès le départ, leur objectif était de mettre en place une mécanique d’identification des forces de l’opposition », explique Bassma Kodmani, directrice de l’Arab Reform Initiative (consortium d’instituts de recherche issus de pays arabes), membre de l’équipe de travail et désormais porte-parole du Conseil national syrien.

«Tout le monde veut entrer dans l’autobus»

Quelles que soient leurs affinités politiques – gauche laïque, islamistes, libéraux –, ces indépendants à qui l’on doit la constitution du CNS ont l’avantage de ne pas avoir les mains liées aux formations politiques traditionnelles, minés par des rivalités personnelles et des querelles idéologiques sans fin. Leur intégrité est un atout non négligeable pour déjouer la suspicion qui divise l’opposition syrienne. Pour parvenir aussi à neutraliser les interférences des politiques et des hommes d’affaires déjà engagés dans une course aux postes politiques pour l’après-Assad.

« Tout le monde veut entrer dans l’autobus, or un autobus qui ne contient que 50 places ne peut avancer s’il est bondé ! », ironise Abdel Hila al-Moullhem, du bureau exécutif qui avait été constitué à la conférence d’Antalya et membre d’une grande tribu de la région de Homs. Cet empressement a été à l’origine de l’annonce prématurée de deux conseils de transition : le Conseil intérimaire d’Ankara, initiative des hommes d’affaires Sankar, et le « Conseil national unifié » fondé par l’Alépin Nawfal Dawalibi, le 17 août autour de cheikhs de tribus arabes et kurdes et de coordinations locales.

Aujourd’hui, les initiateurs du Conseil national syrien se gardent de faire de la surenchère sur les revendications de la rue et de constituer un gouvernement intérimaire. Cette structure politique élira dans les prochaines semaines une instance exécutive restreinte de 10 à 15 membres.

Elle se donne pour mission d’appuyer le mouvement de la révolte, « sa quête de dignité, de liberté et de démocratie ».  « Chute du régime », « défense du caractère pacifique de la révolution », « établissement d’un Etat démocratique civil », « reconnaissance de la pluralité de la société syrienne » et « de l’égalité de tous »…

Les constantes de la révolution syrienne sont ainsi rappelées dans le communiqué fondateur et la charte de consensus national qui structurent le CNS

S’appuyant sur les différentes rencontres de l’opposition à l’extérieur et sur la multitude des collectifs constitués en Syrie, « les technocrates d’Istanbul » se sont efforcés de constituer « un socle politique qui rassemble les jeunes de la révolution, les forces politiques et les personnalités nationales ». L’implication dans le soulèvement, la représentation géographique, la parité et les compétences ont été déterminantes dans le choix des personnes. Les appartenances politiques et communautaires ne sont intervenues qu’en second plan.

«Pas avoir d’autre agenda que celui de la rue»

Ecartés par les factions politiques traditionnelles, « le mouvement révolutionnaire et les jeunes de la révolution » représentent ainsi plus de la moitié des membres du CNS. Ils ont pu nommer eux-mêmes leurs représentants, issus du « Syrian Revolution General Commission », un collectif des comités locaux de coordination et des réseaux sociaux, créé à la mi-août,  et du « Conseil de la direction supérieure de la Révolution », instance nationale représentant les cadres et leaders du mouvement par région, constitué le 4 septembre dernier.

«Leur participation assure la crédibilité et le devenir du Conseil national syrien», résume l’universitaire Imad Din Rachid, membre du Courant islamique libéral et très actif dans la formation d’un courant démocratique national qui implique « les jeunes », c’est-à-dire cette nouvelle génération de militants.

« Le plus important est que la rue, à travers les différents conseils de la révolution, soit représentée, lui fait écho Hassan al-Chalabi, universitaire spécialisé dans le travail social et activiste, originaire de la banlieue damascène de Tell qu’il a quittée il y a deux mois. Les partis ne doivent pas avoir d’autre agenda que celui de la rue. Ils ne peuvent se contenter de demander le simple démantèlement du régime sécuritaire. »

La chute du régime de Bachar El-Assad est non négociable, inscrite dans la déclaration constitutive du CNS. Cela souligne le décalage entre le mouvement révolutionnaire et des personnalités politiques nationalistes arabes, nassériennes et de gauche qui appuient encore l’idée d’un dialogue avec le régime. Le Conseil national de coordination pour le changement démocratique, qui rassemble ces partis, a ainsi appuyé la sortie de crise avancée par la Ligue arabe qui prévoit des réformes et le maintien au pouvoir de Bachar El-Assad jusqu’à la tenue d’élections en 2014… Certains de ses membres ont été autorisés par le pouvoir à se rendre à Doha, début septembre, où se déroulait une réunion d’opposants, semant un peu plus la zizanie dans les rangs de l’opposition.

Le nouveau Conseil national syrien peut se targuer d’avoir rallié d’autres formations politiques traditionnelles de gauche réunies depuis 2005 dans « la Déclaration de Damas pour le changement national démocratique », aux côtés de partis kurdes, de personnalités nationales et des formations de la mouvance islamique (le Courant islamique démocratique indépendant et le Mouvement justice et développement – MJD). Quatorze sièges lui ont été réservés dont deux pour ses représentants à l’extérieur.

La coalition du Bloc national kurde, qui comprend les partis kurdes les plus représentatifs de cette force majeure de la scène politique syrienne, doit aussi nommer ses représentants. Tout comme la Confrérie des Frères musulmans, à laquelle ont été dévolus trois sièges.

Dialogue entre islamistes et gauche laïque

« Avec la présence de ces partis traditionnels, aux côtés du courant islamique, des indépendants et des coordinations sur le terrain, c’est une véritable coalition qui prend forme», affirme Anas al-Abdah. Ce porte-parole veut y voir le début « d’une direction politique unie et active ». « Le mouvement révolutionnaire compte des leaders locaux, il est opérationnel au niveau de la logistique et du travail médiatique mais il peine à produire un discours politique à même de rassurer ceux qui nourrissent des craintes sur l’identité de la révolution », ajoute-t-il.

«Nous avons besoin de cette structure pour porter notre voix, se réjouit Jamal al-Wadi, l’un des premiers manifestants de Der’a, d’où est partie la révolte. Je ne suis pas un politique mais un révolutionnaire.»

Le CNS d’Istanbul a surtout reçu le soutien de Ryad Turk, fondateur du Parti du peuple démocratique, aujourd’hui âgé de plus de 80 ans. Pendant près de trois heures, des jeunes de la révolution et des représentants du courant islamique et libéral ont débattu avec cette figure historique de l’opposition au régime des Assad.

Ce dialogue entre les islamistes et la gauche laïque et deux générations de militants est considéré comme une avancée majeure. « Nous avons ouvert les portes », conclut Yasser Najjar, membre du Haut Conseil de la direction de la Révolution pour la région d’Alep. La porte du CNS reste en effet ouverte aux autres partis et personnalités nationales sur la base des principes de la charte du consensus national.

Mediaprt – 6 septembre 2011

http://www.mediapart.fr/article/offert/2d74052312ba8c902335efed87b332da