Syrie: nihilisme des djihadistes contre nihilisme du régime 

Article  •  Publié sur Souria Houria le 1 juin 2016
Des affiches de Bachar el-Assad lors de l'élection organisée en pleine guerre, en juin 2014. L'intellectuel Yassin el Haj Saleh analyse la portée du slogan "Assad ou personne" dans son ouvrage sur la question syrienne. Reuters/Khaled al-Hariri

Des affiches de Bachar el-Assad lors de l’élection organisée en pleine guerre, en juin 2014. L’intellectuel Yassin el Haj Saleh analyse la portée du slogan « Assad ou personne » dans son ouvrage sur la question syrienne. Reuters/Khaled al-Hariri

Dans une série d’analyses réalisées depuis le début de la crise syrienne, l’écrivain et dissident politique Yassin al-Haj Saleh tente de comprendre les raisons de l’engrenage destructeur dans lequel est plongé son pays.

Pour Yassin el-Haj Saleh, figure intellectuelle de l’opposition démocratique damascène, la question syrienne est aussi une affaire personnelle. Né à Raqqa en 1961, il a fait ses études à Alep, interrompues par seize années de détention pour appartenance au Parti communiste sous le règne de Hafez el-Assad. Dès le début des premières manifestations en 2011, il soutient l’opposition et écrit régulièrement des chroniques pour tenter de comprendre les spécificités du régime politique syrien, mais aussi les formes de résistance, politiques et sociales. Passé très vite à la clandestinité, Yassin el-Haj Saleh continue d’observer et de décrire les agissements du régime, assiste à la l’engrenage de la répression qui entraîne la militarisation de la contestation. Au printemps 2013, avec son épouse Samira al-Khalil, ils quittent Damas où ils ne se sentent plus en sécurité, et s’installent à Douma, dans la Ghouta orientale, faubourgs dont le régime d’Assad a perdu contrôle. C’est là que Samira est enlevée, avec trois autres défenseurs des droits de l’Homme par un groupe salafiste, en décembre 2013. Quelques mois plus tôt, son frère Firas était également kidnappé par l’EI à Raqqa. Depuis lors, l’opposant, aujourd’hui réfugié à Istanbul, n’a eu aucune nouvelle ni de l’un, ni des autres. Ces drames personnels n’ont pourtant pas dissuadé l’écrivain de poursuivre ses réflexions sur l’état de son pays et les raisons de l’engrenage de destruction qu’il subit.

Nihilisme du régime d’Assad…

La Question syrienne réunit plusieurs des chroniques écrites par Yassin el-Haj Saleh entre le début du soulèvement, au printemps 2011 et janvier 2015. Au travers de ces textes, on appréhende l’évolution du conflit, mais également de la perception qu’en a l’auteur. Pour comprendre les ressorts de la violence, il revient sur la transformation du régime baathiste en un système absolutiste qu’il qualifie de « sultanien ».

Dans l’une de ses chroniques, il s’attarde sur l’instrumentalisation du communautarisme par la dynastie Assad pour se maintenir au pouvoir et souligne combien la question confessionnelle a servi à masquer celle des inégalités sociales. Dans un autre texte, à partir des slogans, « Assad ou personne » et « Assad ou nous brûlons la Syrie », scandé par les partisans du maître du pays, il explore le mécanisme totalitaire et nihiliste dont ils sont l’expression: ces formules supposent « qu’existe un pays nommé ‘la Syrie d’Assad’ dont dispose Assad, le propriétaire, comme de son bien privé ». Ce postulat permet de comprendre pourquoi « le régime n’a jamais laissé l’ombre d’une chance à une voie de négociation politique »: « Le lien ontologique entre la Syrie et Assad, écrit-il, transforme le conflit entre la révolution en tant que promesse d’une autre Syrie et la Syrie d’Assad en une bataille existentielle ».

… et « nihilisme guerrier » des djihadistes

Face au nihilisme du régime, Yassin al-Haj Saleh perçoit rapidement la montée du « nihilisme guerrier », celui des djihadistes, qu’il tente d’analyser, dans une chronique écrite en 2012. La violence inouïe du régime, les faiblesses de l’opposition politique et l’internationalisation du conflit doublée d’une paralysie régionale et internationale sont à l’origine, selon lui, de l’essor de ce nihilisme. Des djihadistes qui rendent service au régime « en rivalisant avec lui dans la confessionnalisation du conflit et en combattant sans relâche l’opposition démocratique et laïque. »

L’écrivain reconnaît qu’il lui a fallu près d’un an pour réaliser que le conflit était devenu, au milieu de 2012, un conflit international et non plus syro-syrien. Depuis, l’internationalisation de la crise n’a cessé de s’étendre, avec pas moins de 70 nations plus où moins directement impliquées dans cette guerre qui en retour a des effets majeurs sur d’autres pays par le biais de la crise des réfugiés.

La Question syrienne, Yassin al-Haj Saleh, éditions Sindbad – Actes Sud, 230 pp., 22 €.