«Tous les risques sont possibles en Syrie» – Salam Kawakibi

Article  •  Publié sur Souria Houria le 25 juin 2013

D’origine syrienne, Salam Kawakibi indique dans cet entretien que «la Syrie est devenue un espace ouvert, où tous les acteurs régionaux et internationaux œuvrent pour leurs propres intérêts».

-La crise en Syrie prend des tournures tragiques, avec près de 90 000 morts, des millions de blessés, des milliers de déplacés, un pays détruit. Qui en est responsable, d’après vous, et quelles sont les éventuelles solutions ?

Dès les premiers jours de la contestation pacifique, et bien avant sa militarisation, la répression sanglante a ouvert les perspectives pour un développement tragique. Ce que vous appelez conflit n’était, et ne l’est toujours pas en grande partie, qu’un mouvement populaire revendicatif dont les origines se trouvent dans une frustration populaire devant une répression systémique et une corruption endémique. Donc, il n’est plus nécessaire de désigner les responsables face aux évidences. Cependant, malgré la catastrophe en cours, il demeure possible de trouver une solution politique qui a été à plusieurs reprises testée dans des situations similaires.

-Le conflit syrien s’est transformé en théâtre d’affrontements géopolitiques entre les partisans du clan Al Assad et ses adversaires. Quelle lecture faites-vous de la participation directe ou indirecte des grandes puissances dans ce conflit ?

Vous parlez d’axe comme s’il s’agissait des alliances fortes et cohérentes. Il est certain que d’un côté, nous pouvons parler de l’axe russo-iranien efficace et tangible. En face, une composition mitigée dans les visions et les pratiques de ceux qui ont choisi de se dénommer Amis de la Syrie sans pour autant démontrer une crédibilité au niveau humanitaire au moins. Nous ne pouvons pas parler, en ce qui concerne le dossier syrien, d’une vision et d’une stratégie commune à ce groupe de pays. Nous pouvons même évoquer des divisions profondes dans les analyses et dans les pratiques. La Syrie, malheureusement, est devenue un espace ouvert, où tous les acteurs régionaux et internationaux œuvrent pour leurs propres intérêts. La responsabilité historique de cette situation revient à celui qui a été à l’origine de la gestion sanglante d’une contestation populaire pacifique.

-L’Union européenne a décidé d’armer l’opposition, alors que la Russie continue de plaider pour une solution politique. Pourquoi cette différence de visions ?

La Russie plaide pour une solution politique ? En fournissant des armes de toutes sortes ? En envoyant des experts militaires ? En consacrant ses médias et les médias amis à la déformation de la réalité ? En injectant des faux billets sur le marché monétaire syrien ?
En revanche, je vous invite à vérifier le contenu de la déclaration européenne aux contradictions au sein de l’Union même. Il n’y a que la France et la Grande-Bretagne qui ont exprimé cette volonté et ils se sont vite rétractés. C’est un jeu diplomatique en vue de trouver un règlement qui correspond aux intérêts des uns et des autres. Aucun acteur étatique ne plaide pour la paix en Syrie. Il semble que le déchirement et la destruction de ce pays millénaire aident au règlement de plusieurs dossiers suspendus dans la sphère de la diplomatie internationale. Les Russes sont à la tête de cette liste cynique.

-Les groupes armés de l’opposition sont-ils pour la plupart liés à la mouvance wahhabite ?

Il y a certainement des groupes liés idéologiquement à cette mouvance et d’autres liés par le besoin matériel. Cependant, il y a aussi et surtout beaucoup de groupes qui ne le sont pas. C’est le pourrissement de la situation durant deux ans et quelques mois qui a ouvert les portes à toutes les ingérences et les manipulations idéologiques et financières. Souvenons-nous de la guerre d’Espagne : quand les républicains ont été abandonnés par les «démocrates» européens face à un Franco soutenu par les nazis et les fascistes, il n’y a eu que l’extrémisme de Staline qui a pu profiter de ce vide.

-Est-ce que les fatwas lancées par El Karadaoui et le mufti d’Arabie Saoudite appelant à éradiquer le Hezbollah sont-elles audibles par les groupes armés ? Est-il concevable de lancer des appels de ce genre de la part de religieux ?

Je crois que ce qui importe le plus, ce ne sont pas les fatwas contre quiconque, mais plutôt les actes de ceux qui sont désignés par ces déclarations politiques qui n’ont rien de religieux. L’ingérence du Hezbollah et ses actes représentent des raisons suffisantes pour provoquer des réactions au sein des victimes. Prenons l’exemple de la ville du Qousseir qui vient d’être «libérée» par les milices libanaises : une population qui a hébergé des milliers de familles de ce même agresseur en juillet 2006, quand les criminels israéliens bombardaient le sud du Liban. La mémoire de certains semble courte, mais l’histoire peut préserver une telle atrocité et la faire rappeler tôt ou tard à l’humanité.

-Y a-t-il un risque que le conflit syrien connaisse un scénario «libanais» ; c’est-à-dire une guerre confessionnelle ?

Tous les risques sont plausibles. Ainsi, tous les efforts ont été investis dans ce sens dès le premier jour : quand les manifestants par milliers submergeaient les rues de Homs et de Hama, le pouvoir parlait de groupes armés et de terroristes. La situation se développe vers l’inconnu. Un soulèvement politique et pacifique pour revendiquer des libertés et des droits a été transformé, avec un succès diabolique, en confrontation militaire et en ingérence planétaire qui se soucie peu des Syriens et de leurs besoins. Cependant, il est très important de souligner que jusqu’à nos jours, les actes de revanche à connotation confessionnelle reste limités. Cela ne peut pas durer éternellement avec les atrocités quotidiennes et avec l’infiltration d’éléments éradicateurs.

-Que traduisent les dernières agressions d’Israël contre la Syrie ?

Avec toutes les ingérences qui se précipitent sur la scène syrienne, il est évident qu’Israël, en tant qu’Etat qui a été fondé sur l’occupation et le dénigrement des droits des peuples, essaye de profiter de la situation. Il est certain que la destruction de la Syrie, à tous les niveaux, ne peut être que pain béni pour les Israéliens. Il faut se rappeler des nombreux raids similaires dans les dernières années qui sont restés sans riposte.

-Qu’est-ce qui changera avec l’élection du nouveau président iranien Hassan Horani ?

En Iran, c’est le guide suprême qui décide des orientations de la politique. Cependant, ce changement vers l’intelligence politique au moins ne peut être que positif pour le peuple iranien d’abord. Ainsi, il pourra éventuellement apporter en lui un raisonnement différent des intérêts de ce grand pays qu’est l’Iran. L’optimisme exagéré est à éviter : les éléments radicaux au sein des Gardiens de la révolution et ceux qui ont profité économiquement des sanctions feront tout pour éviter toute amélioration politique intérieure. Ils résisteront aussi à toute ouverture politique envers l’étranger qui risque de menacer leur mainmise sur la vie politique et sur les richesses économiques.

Bsikri Mehdi

source: http://www.elwatan.com/international/tous-les-risques-sont-possibles-en-syrie-25-06-2013-218712_112.php