Un complot contre les chrétiens ? par le Père Georges Massouh
in Al-Nahar, 9 juin 2017 (quotidien libanais)
traduit de l’arabe par Marcel Charbonnier
Le monde se réveille, de temps à autre, prenant conscience d’un problème qui serait, selon sa définition, la « question des minorités religieuses et ethniques » dans notre pays (la Syrie). Ce monde commence à s’éveiller à cette question tandis que l’une des communautés du Moyen-Orient, celle des chrétiens, est en butte à des agressions perpétrées contre ses églises et contre ses villages, avec ce qu’il en résulte en termes de tués, de destructions et de déplacements de populations.
Consciemment ou non, les chrétiens, ou en tous les cas une majorité d’entre eux, se laissent emporter par cette « prise de conscience » qui n’a la plupart du temps rien d’innocent, au point que certains d’entre eux affectionnent de jouer le rôle de la victime permanente et éternelle, seule changeant l’identité des bourreaux d’une période à une autre, depuis la crucifixion du Christ jusqu’à ce jour, et peut-être pour les siècles des siècles, allez savoir ?…
Ce rôle, ils ne sont plus les seuls à devoir l’assumer. Les chrétiens et bien d’autres, parmi les habitants de notre pays, sont les victimes d’une violence multiforme qui plonge ses racines dans l’extrémisme religieux, dans la tyrannie d’une dictature militaire, dans un totalitarisme dictatorial, dans le pouvoir sans partage d’un parti unique, dans le repli confessionnel et communautaire, dans le combat pour le pétrole, dans la création de l’État d’Israël et dans la négation de la valeur de l’être humain en tant qu’individu au profit du groupe…
Les chrétiens ont généralement tendance à confiner les causes de la violence qui les prend pour cibles au seul extrémisme islamiste, tandis que force nous est bien de constater qu’ils omettent délibérément de mentionner les autres facteurs causaux de la violence, en particulier la violence qu’ont exercée et que continuent à exercer contre leurs propres administrés les régimes politiques en place. Certains chrétiens vont même jusqu’à croire dur comme fer que ces régimes dictatoriaux seraient la seule garantie leur permettrait de continuer à exister et à demeurer dans leur patrie.
Cette vision biaisée parfaitement inique a pour effet de limiter la souffrance aux seuls chrétiens, comme si ceux qui ne le sont pas vivaient une existence florissante et paisible que rien ne viendrait troubler. Cette cécité volontaire qui ne veut pas voir la souffrance de tous les Syriens, musulmans, chrétiens et non croyants, n’a strictement rien à voir avec la réalité de ce qu’il se passe dans le pays dont il est ici question.
Quant à tout ce que l’on raconte à propos d’un « complot visant à débarrasser l’Orient de ses chrétiens », comme s’il n’y avait d’autre problème en Syrie que l’existence de chrétiens et un complot qui viserait à les en chasser, cela ne tient pas debout : celles et ceux qui ont été chassés de la Syrie vers les pays voisins du Moyen-Orient et vers ceux du Proche-Occident et l’Extrême-Occident sont dans leur écrasante majorité des musulmans.
Par conséquent, on ne saurait circonscrire les causes des violences en Syrie à un seul de ces multiples facteurs ni faire l’impasse sur tous les autres. Comme leurs concitoyens non chrétiens, les chrétiens de Syrie paient le prix de décennies au cours desquelles la violence est devenue une culture profondément enracinée jusque dans les moindres banalités de la vie quotidienne. Comment peut-on ignorer des décennies de pouvoir absolu des services de renseignement (les mukhâbarât) et de l’armée, d’hégémonie du parti unique, de répression impitoyable des libertés, de violation des droits humains, et ce, afin de réduire la violence au seul facteur islamique ou de pouvoir affirmer qu’il y aurait je ne sais quel complot qui viserait les chrétiens à l’exclusion de tous les autres ?
Les chrétiens ne disparaitront jamais des pays qui sont les leurs pour peu qu’ils ne contribuent pas (ainsi) eux-mêmes à leur propre éradication. Les chrétiens ont vécu à l’abri de l’Empire musulman durant treize siècles. Or, ils n’ont jamais émigré. Il est totalement fallacieux de prétendre qu’ils auraient tous été contraints à chercher refuge dans des montagnes imprenables, de peur d’être « massacrés par les musulmans ». En effet, dans leur écrasante majorité, les chrétiens du Moyen-Orient ont toujours vécu dans les villes et ils se sont toujours mêlés aux musulmans, partageant avec eux une vie commune.
Les chrétiens sont les associés des musulmans en toutes choses, dans les réjouissances et dans les deuils de la même façon. Toute tentative de séparer la souffrance des chrétiens de la souffrance des musulmans est nécessairement malintentionnée et ne correspond pas à la réalité. Elle est par conséquent contraire au témoignage chrétien, qui ne fait aucune distinction entre les êtres humains sur la base de leur foi religieuse, de leur appartenance ethnique ou de leur sexe. Il faut aussi rappeler sans cesse que sans les musulmans, il n’est pas d’avenir pour les chrétiens dans les pays qui sont les leurs. La coopération et la bonne entente entre les chrétiens et les musulmans est un destin auquel ni les uns ni les autres n’ont la moindre des raisons de vouloir échapper.