« Un crématoire syrien sert à dissimuler des massacres massifs de prisonniers », affirment des responsables américains par GARDINER HARRIS, ANNE BARNARD et RICK GLADSTONE
« Un crématoire syrien sert à dissimuler des massacres massifs de prisonniers », affirment des responsables américains
par GARDINER HARRIS, ANNE BARNARD et RICK GLADSTONE
In The New York Times, 15 mai 2015
traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier
ARTICLE PUBLIÉ SUR SOURIA HOURIA LE 16 MAI 2017
Washington – Les États-Unis ont accusé lundi le gouvernement syrien d’utiliser un crématoire afin de dissimuler des crimes de masse perpétrés dans une prison dans laquelle des centaines de prisonniers auraient été sommairement exécutés durant la guerre civile qui déchire la Syrie depuis six ans.
Cette affirmation basée sur des photographies satellite récemment déclassifiées de cette prison représente une aggravation significative des accusations formulées par les responsables américains à l’encontre du président syrien Bachar al-Assad, certains officiels américains n’étant pas loin d’établir un parallèle avec l’Allemagne nazie.
“La tentative de dissimuler des exécutions massives dans ce crématorium d’Assad rappellent les pires atteintes portées à l’humanité au cours du XXème siècle », a dit l’ambassadeur américain à l’ONU Nikki R. Haley.
L’armée de M. Assad et ses alliés ont été largement accusés par des associations de défense des droits de l’Homme notamment d’avoir assassiné des milliers de prisonniers et d’avoir enterré leurs corps dans des fosses communes durant la guerre civile qui est désormais entrée dans sa septième année.
Mais l’administration Trump est allée plus loin hier lundi, affirmant que le gouvernement syrien incinérait systématiquement les corps de prisonniers suppliciés dans le complexe carcéral de Sednaya, au nord de Damas, afin de détruire des pièces à conviction qui auraient pu être utilisées pour poursuivre en justice [les responsables de] ces crimes de guerre.
« Nous sommes aujourd’hui persuadés que le régime syrien a installé à l’intérieur du complexe carcéral de Sednaya un crématorium capable d’éliminer les restes de détenus exécutés en ne laissant pratiquement aucune trace », a déclaré un assistant du Secrétaire d’État pour les questions moyen-orientales, M. Stuart E. Jones, lors d’une conférence de presse tenue à Washington. « À ce stade, nous évoquons cette piste et nous la diffusons dans la communauté internationale, dans l’espoir que cela imposera au régime syrien une pression l’incitant à changer de comportement ».
Jones a reconnu que les photos satellites qui ont été prises au cours des quatre années écoulées n’apportaient pas de preuve définitive. Mais sur l’une de ces photos, prise en 2015, a-t-il indiqué, les bâtiments étaient recouverts de neige – à l’exception d’un seul, ce qui suggère l’existence d’une source de chaleur significative à l’intérieur de ce bâtiment. « Il pourrait s’agir d’un crématorium », a conclu M. Jones.
Des responsables américains ont précisé qu’un quai de déchargement et d’autres éléments architecturaux pouvant être un mur pare-feu et une prise d’air suggèrent également un endroit permettant d’incinérer des cadavres.
L’ONU doit organiser une nouvelle session de pourparlers de paix en Syrie à Genève mercredi, et le timing de ces accusations semble destiné à exercer une pression sur la Russie, le principal allié étranger de M. Assad, afin d’inciter ce pays à « lâcher » celui-ci.
« Le reste du monde, dont nous-mêmes, reconnaît les horreurs perpétrées par le régime syrien », a dit Mme Haley. Il est plus que temps que la Russie vienne le rejoindre ! ».
Il n’y a eu aucun commentaire immédiat de la part de la Russie ou du régime syrien. M. Assad a nié obstinément perpétrer des crimes de guerre dans ce conflit qu’il a toujours présenté comme un combat contre un terrorisme fomenté par ses ennemis tant occidentaux qu’arabes.
Plusieurs associations de défense des droits de l’Homme se sont déclarés surpris par les assertions de l’administration Trump, notamment en raison du fait que ces photos satellite sont connues depuis des années et qu’elles ne constituent pas des preuves irréfutables.
« Il reste énormément de recherches à faire », a indiqué Geoffrey Mock, un spécialiste du Moyen-Orient de l’organisation Amnesty International, qui a publié au mois de février un rapport détaillant d’autres preuves d’exécutions massives de prisonniers dans la prison de Sednaya, mais ne contenant aucune allusion à un crématoire.
Paulo Pinheiro, qui préside un tribunal des Nations Unies qui a compilé les preuves d’atrocités commises durant la guerre en Syrie depuis son début, en 2011, a indiqué, dans un mél : « Je ne dispose d’aucune information concernant ce crématorium ».
Certains partisans de l’opposition syrienne ont demandé pourquoi, si les États-Unis avaient des photos satellite suggérant l’existence d’une telle installation depuis si longtemps, ils rendent celles-ci publiques seulement maintenant. Certains d’entre eux ont accusé l’administration Obama de s’être « assise sur ces photos accusatrices ».
Jones, qui est actuellement un assistant du Secrétaire d’État, a dit que certains responsables américains pensent que ce crématoire a été mis en place en 2013. « Bien que les nombreuses atrocités perpétrées par le régime syrien ont été bien documentées, nous pensons que la construction d’un crématorium visait à dissimuler l’étendue des massacres de masse qui ont été (et sont) perpétrés dans la prison de Sednaya », a-t-il dit.
Plusieurs procès en préparation en Europe contre des responsables syriens promettent d’être retentissants. Des témoins oculaires ont fait des dépositions, ce mois, devant des tribunaux fédéraux allemands, dans un procès pénal mettant en accusation six officiers supérieurs des services de sécurité syriens pour perpétration d’atrocités.
Tout au long du conflit, qui a fait près de 400 000 morts, de nombreux témoins ont accusé des forces progouvernementales d’avoir incinéré ou détruit des dépouilles de leurs victimes, toutefois pas spécifiquement à Sednaya.
Au moins six ou sept Syriens ont déclaré au New York Times au cours des quatre années écoulées qu’ils avaient soit assisté à des incinérations de cadavres soit senti des odeurs leur laissant penser que des cadavres étaient en train d’être incinérés. Plusieurs ont mentionné des odeurs repoussantes évoquant celle de cheveux brûlés à proximité de prisons, d’installations militaires ou de localités récemment reprises par des forces progouvernementales.
Plusieurs ex-détenus de la base aérienne militaire de Mezzé, dans la banlieue immédiate de Damas, ont indiqué avoir vu des corps en train d’être incinérés. Des gens vivant dans le voisinage ont dit avoir senti comme des cheveux brûlés, mais ils ne pouvaient écarter qu’il ait pu s’agir d’animaux (plumes de volailles ou laine).
Jamal, qui a été déplacé d’une banlieue de Damas et qui ne s’est présenté que sous son prénom par peur de représailles, nous a dit que tandis qu’il vivait dans le quartier de Mezzé, il y a de cela quelques années, il a vu régulièrement de la fumée noire s’élever et il a senti ce qu’il pensa être des pneus en train de brûler, et d’autres odeurs qu’il n’avait pas pu identifier.
Kassem Eid, un ancien porte-parole des « rebelles » et négociateur de Moadhamiyéh, une banlieue de Damas tenue par les rebelles, qui vit aujourd’hui en Allemagne, a dit lui aussi que les habitants des banlieues de Damas ont tous remarqué une odeur de cheveux brûlés.
Sur la chaîne télévisée Al-Jazeera, en 2015, un soldat syrien ayant fait défection et qui servait sur la base aérienne de Mezzé, a ditque les corps de détenus suppliciés avaient été transportés jusqu’à un crématoire installé à Harasta, une ville de la banlieue damascène.
En avril 2013, un syrien âgé d’une quarantaine d’années a dit au New York Times que des corps avaient été incinérés après une attaque contre un quartier peuplé de civils aux abords de Damas. Il a indiqué qu’après que les milices pro-gouvernementales eurent investi ce quartier et massacré plusieurs dizaines de civils, il a vu, depuis sa fenêtre, les soldats syriens brûler des cadavres et danser autour des bûchers.
Il a indiqué avoir vu deux ou trois dizaines de soldats en uniforme militaire brûler des corps, dont ceux d’habitants de la ville qu’il connaissait personnellement.
Beaucoup d’autres cas d’incinérations de cadavres analogues ont été rapportés au fil des années. Un avocat d’Alep a indiqué avoir vu jeter deux cadavres à l’extérieur d’un repaire de la sécurité syrienne. Lorsque lui-même et des amis étaient retournés sur les lieux afin de les enterrer, ils avaient été arrêtés par des officiers des services de sécurité, a-t-il rapporté, qui avaient alors entrepris d’incinérer les cadavres au milieu de la rue.
Des corps d’enfants ont été retrouvés, à moitié carbonisés, en 2013, après que des forces pro-gouvernementales eurent massacré plusieurs dizaines de civils dans les villes de Bayda et de Banias (ouest de la Syrie).
Au cours de sa conférence de presse tenue lundi, M. Jones a reconnu que les États-Unis n’avaient pas encore communiqué les photos satellite en question aux Russes.
« Mais nous sommes en train de parler avec eux au sujet du problème que représente leur non-condamnation des atrocités du régime syrien et de l’apparente tolérance vis-à-vis de celles-ci que leur attitude a générée », a-t-il conclu.